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Gaule, où, dans les derniers siècles du paganisme, il alterna, sur les monumens gallo-romains, avec le marteau à deux têtes ; on le trouve même sur des amulettes de la Germanie, de la Scandinavie et de la Bretagne. En Orient, il pénétra dans l’Inde, comme le caducée, à la suite d’Alexandre. Là il se trouva en compétition avec d’autres symboles qui avaient la même signification : l’épervier aux ailes d’or, — la pierre à quatre pointes dont parlent les Védas, — la croix de Saint-André (peut-être elle-même une double fourche), qui forme l’arme redoutable d’Indra, dieu du ciel orageux, — enfin, son propre antécédent, le trident, que les Hindous avaient emprunté à la symbolique de l’Occident ou tiré de leur propre fonds. — Siva, qui succède à Zeus sur les monnaies des rois indo-scythes, quand s’éteignent les dernières lueurs de la civilisation grecque dans le nord-est de l’Inde, tient en main tantôt le foudre, tantôt le trident, et, si c’est ce dernier qui reste exclusivement l’arme du dieu dans l’imagerie postérieure des sectes hindoues, le foudre n’en fit pas moins son chemin chez les bouddhistes, qui le transportèrent, avec leur symbolique, jusqu’en Chine et au Japon. Aujourd’hui encore il s’y laisse reconnaître sous la forme de dordj, petit instrument de bronze en forme de double faisceau à six ou à huit traits, qui, tenu entre le pouce et l’index, sert aux lamas et aux bonzes pour bénir les fidèles et exorciser les démons. Une légende recueillie dans le Népaul par M. Gustave Le Bon prétend justifier les représentations du foudre sur les temples du pays en relatant que le Bouddha l’aurait arraché au dieu Indra. L’assertion est vraie, en ce sens que les bouddhistes, après avoir précipité du rang suprême le Maître de l’Olympe védique, ont fait de son terrible et capricieux engin un allié de l’homme dans la lutte contre les puissances du mal. Il est intéressant de constater que, chez nous également, l’antique et redoutable attribut du Maître du tonnerre est devenu l’emblème de la foudre soustraite à la direction aveugle des forces naturelles et mise par la science au service de l’industrie humaine. Peu de symboles peuvent se vanter d’une carrière aussi longue et aussi bien remplie.

A côté des perfectionnemens dus aux velléités artistiques de leurs auteurs, il faut placer les déformations produites par l’ignorance ou la maladresse du copiste, comme on peut en constater sur tant de monnaies gauloises où les symboles grecs ont pris les formes les plus bizarres. Parfois, de ces dégénérescences sort un type nouveau qui succède à l’ancien, comme ces vues fondantes, séparées par de courts intervalles, où les linéamens des deux tableaux se confondent en une image indistincte qui n’est plus l’un et qui n’est pas encore l’autre. C’est ainsi que la croix ansée des