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Pour que deux figures aient même origine, il n’est pas toujours nécessaire qu’elles aient même signification. Souvent il arrive qu’un symbole change de sens en changeant de patrie. Il peut très bien ne garder qu’une valeur générale de talisman ou d’amulette, comme ces crucifix, passés à l’état de fétiches, qui sont l’unique vestige du christianisme laissé chez certaines tribus du Congo par la domination portugaise du siècle dernier. Quelquefois alors, — surtout quand il s’agit d’une image proprement dite, — ses nouveaux possesseurs chercheront à se l’expliquer par quelque interprétation plus ou moins ingénieuse et ils lui restitueront ainsi une portée symbolique, bien qu’au service d’une conception nouvelle. On a souvent comparé le soleil levant à un nouveau-né. Chez les Égyptiens, ce rapprochement conduisit à représenter Horus sous les traits d’un enfant qui se suce le doigt. Les Grecs s’imaginèrent qu’il se posait le doigt sur les lèvres pour recommander la discrétion aux initiés et ils en firent l’image d’Harpocrate, le dieu du silence.

Ces altérations de sens peuvent d’ailleurs se concilier parfaitement avec la connaissance de la signification primitive. Il y a des grâces d’état pour faire retrouver partout l’image ou l’idée qu’on affectionne. C’est de très bonne foi que les néo-platoniciens croyaient reconnaître les représentations de leurs propres doctrines dans les symboles aussi bien que dans les mythes de toutes les religions contemporaines. Les premiers chrétiens ne voyaient-ils pas la croix dans toutes les figures qui leur présentaient une intersection de lignes : l’ancre, le mât et sa vergue, l’étendard, la charrue, l’homme qui nage, l’oiseau qui vole, l’orant aux bras étendus, l’agneau pascal sur sa broche, voire le visage humain où la ligne du nez se croise avec celle des yeux ? Quand on démolit le Sérapéum à Alexandrie, les auteurs chrétiens du temps rapportent qu’on y trouva un certain nombre de croix ansées. Eux-mêmes font observer qu’on reconnut dans ces figures le vieux symbole égyptien de la vie, ce qui ne les empêche pas d’y voir une allusion prophétique au signe de la Rédemption. Sozomène ajoute que ce fait provoqua de nombreuses conversions parmi les païens.

Il peut arriver aussi qu’on modifie sciemment la signification du symbole étranger, afin de l’adapter à une idée ou à une croyance jusque là dépourvue de toute expression matérielle ou restreinte à quelques figurations rudimentaires. Quand les Perses se furent emparés de la Mésopotamie, ils s’approprièrent presque toute l’imagerie des vaincus, pour donner corps à leurs propres conceptions religieuses, que l’absence d’un art national laissait sans représentations plastiques bien définies. De même, quand les chrétiens