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Il existe un symbolisme tellement naturel qu’à l’instar de certains engins propres aux âges de la pierre, il n’appartient pas à telle ou à telle race déterminée, mais il constitue un trait caractéristique de l’humanité à une certaine phase de son développement. Dans cette catégorie rentrent les représentations du soleil par un disque ou par un visage rayonnant, de la lune par un croissant, de l’air par des oiseaux, de l’eau par des poissons ou encore par une ligne brisée, de la foudre par une flèche ou une massue, etc. Peut-être faut-il y ajouter certaines analogies plus compliquées, comme celles qui mènent à symboliser par la destinée de l’arbre les différentes phases de la vie humaine, par des emblèmes phalliques les forces génératrices de la nature, par le triangle équilatéral les triades divines ou, en général, toute combinaison triple dont les membres sont égaux ; enfin, par une croix, les quatre principales directions de l’espace.

Que de théories n’a-t-on pas échafaudées sur la présence de la croix, comme objet de vénération, chez presque tous les peuples de l’ancien et du Nouveau-Monde ! Des écrivains catholiques ont protesté à juste titre, dans ces dernières années, contre la prétention d’attribuer une origine païenne à la croix des chrétiens, parce que des cultes antérieurs auraient eu des signes cruciformes dans leur symbolique. Mais il est juste d’opposer la même fin de non-recevoir aux tentatives faites pour chercher des infiltrations chrétiennes dans certains cultes étrangers, sous prétexte qu’ils possédaient le signe de la rédemption.

Quand les Espagnols s’emparèrent de l’Amérique centrale, ils trouvèrent dans les temples indigènes de vraies croix qui passaient pour le symbole, tantôt d’une divinité à la fois terrible et bienfaisante, Tlaloc, tantôt d’un héros civilisateur, blanc et barbu, Quetzacoatl, que la tradition faisait venir de l’est. Ils en conclurent que la croix avait été importée chez les Toltèques par des missions chrétiennes dont la trace s’était perdue et, comme il faut toujours que la légende se fixe sur un nom connu, ils en firent honneur à saint Thomas, l’apôtre légendaire de toutes les Indes[1]. Bien que cette thèse ait encore trouvé des défenseurs dans les

  1. Dans la célèbre stèle de Palenqué, on découvre un prêtre qui s’avance, avec urne offrande dans les bras, vers un oiseau perché sur une croix. Or il se trouve que sur une cornaline romaine des premiers siècles, reproduite par le père Garucci, on voit le bon pasteur, un agneau sur les épaules, se diriger vers une croix de forme patibulaire, sur laquelle se trouve également un oiseau. Cependant ici encore l’analogie n’est qu’à la surface. L’oiseau de la croix chrétienne est une colombe qui tient un rameau dans son bec, symbole bien connu de l’espérance. L’oiseau de la croix toltèque est une image de Quetzacoatl souvent représenté sous les traits d’un perroquet.