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point entièrement réussi, si la loi nouvelle ne désorganise pas davantage le pays et l’armée, la France le doit au Sénat, et aux conservateurs. Tous les tempéramens proposés par les hommes de science, dans l’une ou l’autre chambre, par les Berthelot et les Mézières, la droite les a votés.

Il est triste d’être obligé de le constater : si les douze dernières années, si la dernière législature surtout, n’ont pas entamé plus profondément la fortune et les forces de la France, la république le doit, en grande partie, à l’opposition. Abandonnée à elle-même, à son enfantine manie de casser et de mettre en pièces, la majorité de la majorité eût entassé les ruines. Elle eût commis des fautes ou des bévues presque irréparables. Nous l’oublions trop, si le budget des cultes n’a pas été supprimé, si l’ambassade auprès du Saint-Siège a été maintenue, nous le devons à l’opposition. Dans ces deux questions, la majorité de la majorité s’est obstinée à refuser les crédits demandés par le gouvernement de la république. M. Flourens et M. Spuller avaient beau lui parler le langage de la politique, ils ne réussissaient point à lui persuader que la France pût avoir quelque intérêt à être représentée au Vatican. Dès que le « cléricalisme » était en jeu, elle était sourde et aveugle. De même, sans les droites, les singuliers projets financiers de M. Peytra risquaient fort d’être adoptés, et la France, d’être soumise aux expériences budgétaires des empiriques.

Les interpellations stériles, les discussions vainement irritantes, les séances perdues que nous sommes le plus portés à reprocher à la droite, sommes-nous sûrs que le pays en ait réellement pâti ? La droite a souvent empêché la chambre d’aboutir. Eh ! que n’a-t-elle su l’arrêter plus souvent ! S’imagine-t-on, par exemple, que la France et l’armée eussent beaucoup perdu à ce que la loi militaire eût été votée un an ou deux plus tard ? D’une chambre ignorante et violente, il est difficile de regretter que son autorité n’ait pu s’exercer librement. Lui faire perdre le temps, c’était l’empêcher de faire le mal. Certes, théoriquement, à Paris, comme à Westminster, à Pest, à Madrid, l’obstruction, pour l’appeler de son nom britannique, peut sembler puérile à la fois et coupable ; mais, si c’est une faute, on en doit parfois dire felix culpa. Paralyser une majorité malfaisante, l’amuser par de vaines subtilités ou l’énerver par d’incessantes piqûres, lui faire consumer en discours inutiles de trop longues sessions, ne pas lui donner le loisir de voter des projets sortis de têtes incohérentes ou incompétentes, c’est encore une façon de rendre service au pays. Entre les jeux périlleux du cirque, les bouffonneries des clowns ont l’avantage d’être inoffensives. Un des grands maux de ce temps, c’est l’abus de la législation, l’excès