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digne, habile ou prudente. Pour le sentir, il n’y a qu’à comparer la droite de la chambre à celle du sénat. Ce qui a manqué à la première, ce sont des chefs expérimentés et écoutés, sachant maintenir la discipline parmi leurs troupes, ne pas les user en d’inutiles escarmouches et ne les engager que sur un terrain bien choisi. Dans l’atmosphère surchauffée de la mêlée parlementaire, en face d’adversaires sans scrupule et sans courtoisie, il eût du reste fallu aux conservateurs, pour ne pas se laisser emporter par l’élan de la lutte, un sang moins bouillant que le sang français. Si la droite a eu quelque part aux fautes de la gauche, celle-ci en a eu peut-être davantage aux fautes de la droite. Nous voyons ce qu’avaient d’irritant l’attitude de la droite et ses bruyans défis à la majorité ; mais quoi de plus provocant que les procédés de ces majorités élues à grand renfort de circulaires ministérielles, et débutant, à chaque législature, par décimer leurs adversaires à l’aide d’invalidations encore plus cyniques qu’iniques ; les excluant régulièrement de toutes les grandes commissions et repoussant systématiquement tous leurs amendemens, alors que, pour leur fermer la bouche, elles ne leur appliquaient pas le bâillon d’un vote de clôture ? De bonne foi, qu’est-on en droit d’attendre d’une minorité ainsi traitée ? et ne pourrait-on pas dire que les majorités, comme les gouvernemens, ont l’opposition qu’elles méritent ?

Rendons justice à chacun : si puérils parfois qu’aient pu nous sembler ses procédés d’opposition, force est bien de reconnaître que la droite a, le plus souvent, défendu les véritables intérêts du pays : intérêts de la fortune publique et privée, intérêts de l’enfance, intérêts de la terre, intérêts de l’armée. Prenons les douze années de règne du parti républicain ; la droite s’est opposée à toutes les folies et à presque toutes les fautes. Elle a défendu le capital moral et matériel de la France contre les chimères des songe-creux et contre la cupidité des rapaces. Elle a combattu l’augmentation incessante du fonctionnarisme et repoussé les primes au déclassement social. Elle a dénoncé le mensonge de l’équilibre budgétaire audacieusement affirmé par des majorités dissipatrices ou complices. A l’heure où le pays, assoupi par de lourds narcotiques, était pris de somnolence, elle a fait le chien de garde, aboyant contre les rôdeurs nocturnes qui tournent autour du budget ; si plus d’un a été mordu, c’est de sa dent.

Rappelons-nous l’œuvre législative de la gauche, les grandes lois dont elle est fière : la réforme de la magistrature, la loi scolaire, la loi militaire. Qui nierait que ces trois réformes ont été trois lois de partis ? Les principes y ont eu moins de part que les passions. Des trois, pas une qui n’eût été meilleure, ou moins mauvaise, si la