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Il en est de même de la distance fixée pour les constructions, pour le creusement des puits et le renouvellement des sépultures. Les cimetières sont trop près des villes, trop petits, trop encombrés ; mais je ne veux pas m’étendre sur cette question, qui a déjà été traitée à fond dans la Revue[1] ; je me borne à en retenir ce qui appartient à mon sujet, à savoir que les inconvéniens inhérens aux cimetières ont été exagérés, qu’il est possible de les faire disparaître et que la santé publique n’exige pas la suppression de ces champs de repos. Des trois reproches qu’on leur adresse : l’infection de l’air, l’empoisonnement des sources et l’encombrement, les deux premiers ne reposent sur aucune démonstration suffisante et pour ôter toute valeur au troisième, il n’est pas nécessaire de recourir à un expédient aussi radical.

Le préjudice causé à l’agriculture, par la perte du terrain que les inhumations réclament, n’est pas beaucoup plus sérieux. Un champ d’un hectare qui ne produit pas assez de blé pour nourrir cinq personnes, suffit à la sépulture d’une ville de 10,000 habitans. Quand il faut à l’homme tant de terre pour vivre, on peut bien lui on accorder un peu pour reposer en paix après sa mort.

Depuis que les sociétés existent, c’est à la terre qu’on a confié les corps de ceux qui ne sont plus. L’incinération n’a jamais été qu’une exception, qu’un luxe réservé aux grands de la terre et qu’on n’a jamais essayé de démocratiser. L’inhumation est encore aujourd’hui le moyen le meilleur et le plus pratique. Je ne connais que l’immersion en eau profonde qui lui soit préférable. Elle est plus prompte, plus discrète, plus solennelle. Je n’ai jamais pu assister sans émotion à cette imposante cérémonie. Le navire est en panne, le pavillon en berne, l’équipage assemblé sur le pont, tête nue. Le corps de celui dont on va se séparer est enseveli dans un linceul de toile à voiles, avec un boulet aux pieds et enveloppé dans le drapeau national. On l’apporte devant un sabord ; le commandant fait un signe, un coup de canon retentit, et le mort plonge dans ces profondeurs inconnues qu’habitent les ténèbres, le silence et l’immobilité. C’est bien l’éternel repos dans l’éternelle nuit ; mais ce genre de funérailles ne peut pas se généraliser. La mer restera la tombe privilégiée du marin, de même que la terre est le meilleur asile pour ceux qui vivent à sa surface.

Ce qui précède ne s’applique qu’à l’immersion en pleine mer. Les fleuves ne conviennent pas pour un pareil usage. La coutume des populations de l’Inde qui consiste à jeter leurs morts dans le Gange est déplorable à tous les points de vue. Je ne connais pas

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1874.