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province, où l’on vous réclame vos titres de républicain, de même que, aux solliciteurs d’emplois, on demande leurs diplômes et certificats. Comme autrefois celui de gentilhomme, le nom de républicain est une qualité qui confère des droits et privilèges ; on ne tient pas à la reconnaître à tout le monde.

Ce grossier matérialisme politique n’est pas l’unique raison des défiances intéressées et du mauvais vouloir témoignés, par la plupart des républicains, aux conservateurs enclins à se rallier à la république. A côté des affaristes, comme disent nos voisins d’Italie, il y a, pour son honneur, dans le parti républicain (et parfois tous deux s’entremêlent bizarrement dans le même homme), des idéalistes. Pour eux, la république n’est pas seulement la nourrice aux mamelles pleines, mais la déesse au front étoilé qui doit transfigurer la France et l’humanité. Ils lui rendent un culte dont ils sont les prêtres ; ils appellent les peuples à la venir adorer ; mais ils ne laissent approcher que les croyans, ceux qui acceptent leur credo ; ils écartent du temple, avec un soin jaloux, les profanes, les tièdes, les mécréans suspects d’hétérodoxie. Ils tiennent à maintenir la pureté de la doctrine. Lors de la mort de M. le comte de Chambord, la république eût pu, sans trop de peine, rallier nombre de légitimistes ; ainsi dans le clergé et parmi les familles avant tout catholiques. J’ai vu des républicains s’en inquiéter. — La république, écrivait un journal opportuniste de mon département, court un grave danger ; elle risque de voir les cléricaux et les royalistes, défians de l’orléanisme, venir à elle pour chercher à l’attirer à eux. Quel malheur pour l’humanité, si notre belle république devait jamais tomber aux mains des obscurantistes ! Mieux vaut mille fois avoir ces gens-là pour ennemis que pour alliés. — Si peu de républicains sont assez ingénus, ou se connaissent assez, pour se confesser aussi franchement, beaucoup, à leur insu, raisonnent à peu près de même. Pour eux, la république n’est pas un gouvernement comme un autre. Elle a une mission qu’elle ne saurait renier, et qui embrasse le spirituel, non moins que le temporel. C’est une religion ; pour y être admis, il faut en professer le dogme. Il n’est pas bon de laisser franchir la porte à des néophytes qui n’ont pas la foi, et qui ne veulent pénétrer dans le sanctuaire que pour en changer les dieux.

Cette mission de la république, on la connaît de reste. Elle consiste à refaire l’intelligence et l’âme même de la France, grande et haute tâche que nous ne voudrions ni railler, ni rabaisser. C’est, sous une forme inverse, le vieux et noble rêve des théocraties, qui, elles aussi, ont prétendu pétrir à leur gré l’âme des peuples. Qu’un pareil songe hante des esprits jeunes, hardis, épris de