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banquettes pour les assistans. D’épais rideaux séparent ces deux pièces contiguës.

Le crématoire fonctionne tous les jours pour le service des hôpitaux. On le chauffe jour et nuit, pour éviter la perte de calorique ; il est par conséquent toujours en marche. Lorsqu’un corbillard arrive, le cercueil en est retiré ; on le monte dans la salle d’attente que je viens de décrire et où tous les assistans sont admis. Il est ensuite transporté dans la chambre d’incinération, où les plus proches parens du décédé, au nombre de cinq au plus, sont seuls autorisés à accompagner le corps et à assister à l’opération.

Les rideaux se referment derrière eux. La bière est placée sur les bras du chariot ; on suspend, pour quelques instans, l’arrivée de l’oxyde de carbone et de l’air chaud dans le laboratoire ; on en ouvre les portes ; l’intérieur de la fournaise apparaît. Tout le monde recule devant la chaleur qui en sort. Le chariot glisse alors sur les rails ; ses bras entrent dans le four, puis ils s’abaissent à l’aide d’une manivelle et disparaissent dans les rainures dont la sole est creusée, en déposant sur celle-ci la bière dont ils étaient chargés. Le chariot recule, les portes se referment, et l’on n’aperçoit plus qu’une lueur d’un rouge vif qui filtre à travers leurs interstices. Cette manœuvre ne dure pas plus de trente secondes ; et, avant qu’elle soit terminée, la bière a éclaté et disparu au milieu des flammes qui la dévorent ; cependant l’appareil ne dégage pas d’odeur et ne fait pas de bruit.

Lorsque l’opération est terminée et qu’on ouvre les portes, on aperçoit, à l’endroit où on a vu déposer la bière, dont il ne reste plus de vestiges, quelques débris d’os d’un aspect étrange et d’un rouge de feu, épars sur une surface incandescente. On fait avancer de nouveau le chariot, et cette fois ses bras portent, à leur extrémité, un racloir formé par une glissière verticale garnie de coton d’amiante et épousant la forme de la sole. Ils s’abaissent, le chariot recule comme la première fois, et le racloir parcourt la plateforme d’arrière en avant, en ramenant vers l’ouverture les os calcinés. Ceux-ci tombent dans un cendrier placé au-devant de l’appareil et dans lequel on les laisse refroidir. Ils ne représentent qu’une très petite partie du squelette et sont en général d’un blanc très pur. Quelques fragmens ont cependant pris une couleur ocreuse et sont vitrifiés sur certains points. Cela tient à ce qu’ils ont été soumis trop longtemps à une température trop élevée.

Le poids de ces débris varie entre 1,000 et 1,500 grammes. Lorsqu’ils sont refroidis, on les renferme dans une urne, si toutefois on peut donner ce nom au récipient que la ville a adopté.