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organisèrent des congrès ; la presse médicale, les journaux politiques firent campagne en faveur de la nouvelle méthode, et les poètes eux-mêmes se mirent de la partie.

L’occasion de passer de la théorie à la pratique ne tarda pas à se présenter. Un prince indien, Rayach-Maharaya, rajah de Kellapore, vint à mourir à Florence et y fut brûlé le 2 décembre 1870, sur les bords de l’Arno, suivant les rites usités dans l’Inde. Bien que le bûcher fût composé de matières très inflammables et malgré l’impétuosité du vent, il fallut huit heures pour consumer un corps tout imprégné de naphtaline et de substances résineuses. Cet exemple n’était pas encourageant pour la nouvelle coutume. L’incinération à l’air libre est un mode absolument défectueux. Les immenses bûchers de Rome formés de bois précieux ensevelis sous les fleurs et les aromates et sur lesquels le corps reposait dans son linceul de pourpre, répandaient dans le voisinage une odeur infecte et allumaient parfois des incendies, ainsi que cela arriva aux funérailles de Clodius ; aussi avait-on été obligé de les éloigner de l’enceinte de la ville. Dans ces conditions, la combustion est toujours lente, incomplète et n’arrive en général qu’à carboniser les corps qu’on lui confie. C’est dans cet état qu’on les retrouvait après les autodafés, et c’est ainsi qu’on les rencontre encore souvent à la suite des incendies, bien qu’ils aient séjourné pendant de longues heures dans un immense brasier. Un pareil procédé est aussi dispendieux que peu pratique, et la crémation n’aurait jamais repris faveur, si la science et l’industrie n’étaient pas venues à son aide, en mettant à sa disposition des appareils perfectionnés qui en ont fait disparaître les principaux inconvéniens.

La première de ces incinérations scientifiques a eu lieu à Dresde le 10 octobre 1875. Ce jour-là les novateurs eurent la satisfaction de brûler le corps de Mme Dilke dans un four Siemens ; le fait passa inaperçu, tandis que la crémation du baron Albert Keller, qui eut lieu à Milan quelques mois plus tard, eut un retentissement considérable. Il avait laissé par testament, à la ville, la somme nécessaire pour y élever un monument crématoire, à la condition que son corps y serait brûlé le premier. La cérémonie eut lieu le 22 janvier 1876. Ce jour-là, dit George Pini, un grand manifeste affiché dans toute la ville apprit à la population que trois cents citoyens venaient de se réunir, dans le dessein d’encourager et de propager, en Italie, la réforme dont Albert Keller avait pris l’initiative dans ses dispositions testamentaires.

La société de Milan ainsi constituée fit bientôt sentir son action