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côté, et des jambes comme des cure-dents. Ses mouvemens sont prompts et agités. Il me prit en gré et me faisait une cour assidue partout où je le rencontrais. L’impératrice s’en amusait beaucoup. Un soir, à l’Ermitage, il me conta fleurette plus qu’à l’ordinaire. Sa Majesté m’appela près d’elle et me dit en riant : « Vous connaissez le proverbe, il ne faut croire qu’à la moitié de ce qu’on dit ; mais avec votre amoureux, ne croyez qu’au quart. »

« La cour était au palais de la Tauride. Pour varier les soirées, on donna un petit bal, composé des personnes de la société de l’Ermitage. Nous nous rassemblâmes dans le salon, l’impératrice parut et vint s’asseoir à côté de moi ; nous causâmes quelque temps. On attendait le roi pour ouvrir le bal. « Je crois, me dit Sa Majesté, qu’il vaut mieux commencer la danse quand le roi arrivera, il sera moins embarrassé de trouver tout en mouvement, au lieu de ce cercle qui a l’air d’attendre son entrée. Je vais dire qu’on joue la Polonaise. — Ordonnez-vous que je le dise, madame ? lui demandai-je. — Non, répondit-elle, je vais faire signe au page de chambre. » Elle fit un signe de la main, que le page ne vit pas, et que le vice-chancelier, comte Ostermann, prit pour lui. Le vieillard accourut aussi vite qu’il put avec sa longue canne vers l’impératrice, qui se leva, le conduisit à la fenêtre et lui parla très sérieusement pendant environ cinq minutes. Elle revint ensuite à moi en me demandant si j’étais contente d’elle. « Je voudrais, lui dis-je, que toutes les dames de Pétersbourg vinssent prendre des leçons de Votre Majesté sur la manière de faire les honneurs de leur maison avec tant de délicatesse. — Mais comment voulez-vous que je fisse autrement ? reprit-elle, j’aurais affligé ce pauvre vieux en lui découvrant sa méprise. Au lieu de cela, en lui parlant de la pluie et du beau temps, je lui ai persuadé que je l’avais réellement appelé. Il est content, vous êtes contente, et moi aussi par conséquent. »

« Le roi parut ; l’impératrice fut affable et pleine d’attentions pour lui, mais elle conserva toute sa dignité. Leurs Majestés s’examinèrent et tâchèrent mutuellement de se pénétrer. Quelques jours après, le roi parla de son projet d’alliance. L’impératrice répondit avec réserve. Elle tenait à se ménager les moyens d’arrêter les articles principaux du contrat de mariage avant de se prononcer définitivement. Les pourparlers et les discussions se succédèrent, les allées et venues des ministres se multiplièrent en excitant la curiosité de la cour et de la ville.

« Il y eut un bal paré dans la grande galerie du palais d’hiver. Le roi était soucieux, n’étant pas encore informé des dispositions de la grande-duchesse Alexandrine. Le surlendemain, pendant une