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comte de Cobentzel me raconta, entre autres choses, l’anecdote suivante : L’impératrice voyageait dans une voiture à six places. L’empereur, son ambassadeur et le comte Schouvalof s’y trouvaient toujours. Les ministres et les deux dames étaient admis à tour de rôle. L’impératrice avait une très belle pelisse en velours. Le comte de Cobentzel lui en fit compliment. « C’est un de mes valets de chambre, répondit-elle, qui est chargé de cette partie de ma garde-robe ; il est trop imbécile pour tout autre emploi. » Le comte de Ségur, qui, distrait, n’avait entendu que l’éloge de la pelisse, s’empressa de dire : « Tel maître, tel valet. » Cet à-propos fut salué d’éclats de rire.

« Ce même jour, à dîner, le comte de Cobentzel se trouvant, comme toujours, à côté de l’impératrice, celle-ci lui dit, en plaisantant, qu’il devait être fatigué de se trouver toujours à côté d’elle, a On ne choisit pas ses voisins, » répliqua l’ambassadeur. Cette seconde distraction fut accueillie avec la même gaîté que la première.

« Après le souper, Sa Majesté ayant raconté une anecdote, lord St. Helens, qui était sorti pour un moment, rentra lorsqu’elle finissait de parler. Les autres ministres lui témoignèrent leurs regrets du plaisir dont il avait été privé. L’impératrice proposa de recommencer ; mais à peine en était-elle à la moitié de son récit, que lord St. Helens s’endormit profondément. « Il ne manquait plus que cela, messieurs, leur dit-elle, pour compléter votre obligeance ; je suis entièrement satisfaite. »

On sait que ce voyage eut des conséquences fâcheuses pour l’Autriche. La charmeuse moscovite avait tellement ensorcelé Joseph II, qu’il conclut une alliance avec la tsarine, dont le but était le partage de la Turquie. Mollement soutenues par Potemkin, les armées autrichiennes firent une campagne désastreuse, perdant par les maladies plus d’hommes que par l’ennemi. Généralement désapprouvée, cette guerre désastreuse abrégea les jours de Joseph II, qui mourut en 1790, en laissant à son frère Léopold le soin de sauver l’empire. La Russie aussi renonça à ses projets ambitieux après la mort de Potemkin (1791) et se contenta des succès dus à l’épée de Souvarof.


III

Les mémoires de la comtesse *** ne jetant pas un jour nouveau sur les événemens qui suivirent, sur le troisième partage de la Pologne, sur les guerres contre la république française et la paix de Bâle, nous passons sous silence ces événemens bien connus.