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équivoque, nous nous contenterions de rappeler que, en même temps qu’elle donnait pour successeur à Rondelet un architecte de la vieille école, Jacques Molinos[1], l’Académie remplaçait dans la section de composition musicale Gossec par Auber, c’est-à-dire par un artiste fort loin assurément de se montrer hostile à l’esprit d’innovation et aux franchises de l’imagination personnelle.

Gossec, né en 1733, était âgé de quatre-vingt-seize ans lorsqu’il mourut en 1829. Il avait donc eu cette singulière fortune d’assister dans sa jeunesse à la renaissance de la musique en France sous l’influence de Rameau, peut-être d’approcher le maître lui-même, et, dans les dernières années de sa vie, d’être témoin des succès de Rossini, devenu à l’Académie son confrère. Membre de l’Institut dès la fondation de ce grand corps, Gossec était depuis longtemps le doyen de la section de composition musicale, et, depuis la mort de Houdon (15 juillet 1828), le doyen de l’Académie tout entière. C’était maintenant au peintre Regnault que revenait ce titre, mais pour quelques mois seulement, puisque avant la fin de cette même année 1829, Regnault succombait à son tour, bientôt suivi dans la tombe par Taunay, le dernier survivant jusqu’alors des membres nommés en 1795.

Le titre que Regnault avait dû, à sa longévité académique n’était pas au reste le seul qui le distinguât de ses confrères. Avant de parvenir au décanat, il avait été créé baron par le roi Charles X, continuateur en cela d’une tradition fondée au temps de son prédécesseur. Jusqu’au règne de Louis XVIII, en effet, — sauf Vien, nommé comte de l’empire à l’âge de quatre-vingt-douze ans, et encore parce qu’on entendait sans doute honorer en lui le sénateur plutôt que le peintre ; sauf, à la rigueur, Denon, créé baron à l’époque où il était appelé aux fonctions de directeur des musées impériaux, — aucun artiste, même parmi les plus célèbres, même parmi les membres les plus éminens de l’Académie des Beaux-Arts, n’était devenu l’objet d’une décision analogue à celles qui avaient anobli des savans comme Monge, Berthollet, Lagrange et Laplace, par exemple[2].

Napoléon avait bien consenti à faire de quelques peintres ou sculpteurs des chevaliers de la Légion d’honneur, et, par une exception unique d’ailleurs dans tout le cours de son règne, à élever successivement David aux grades

  1. Molinos avait, en collaboration avec Legrand, construit la remarquable coupole, renouvelée des exemples de Philibert Delorme, qui s’élevait au-dessus des murs de la Halle au Blé.
  2. Monge avait reçu, en 1804, le titre de comte de Peluse. Berthollet, Lagrange. Laplace, Bougainville, Chaptal, plusieurs autres membres encore de la première classe de l’institut, avaient été créés « comtes de l’empire » en 1808 et en 1809.