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les prétentions ambitieuses, si bien démenties par l’événement, ou les doctrines rétrogrades de cette époque ? Qui songerait à en épouser après coup les querelles ? Depuis que le classicisme, tel qu’on le définissait il y a soixante ans, est devenu pour tout le monde un non-sens, et que, d’un autre côté, les promesses et les spéculations du romantisme ont abouti à la faillite, le mieux est de s’en tenir aux faits accomplis, de laisser là les questions épuisées et les passions mortes, pour apprécier, sans acception de parti, les œuvres mêmes et les mérites qui peuvent s’y rencontrer.

Or, à ne considérer ici que les productions de la peinture et de la sculpture, celles que nous ont léguées les années comprises entre le commencement et la fin du règne de Charles X ne sauraient en général exiger un bien long examen, ni rendre les choix fort difficiles. Si, parmi les ouvrages exécutés à une date un peu antérieure par de jeunes artistes plus ou moins dociles à la tradition classique, plusieurs gardent une très sérieuse valeur, — l’Amour et Psyché de Picot par exemple, le Martyre de sainte Juliette et le Martyre de saint Hippolyte de Heim, certains tableaux ou portraits de Léon Cogniet et de Drolling, certaines statues de Ramey et de Cortot[1], — pourrait-on, en revanche, trouver rien de plus que des témoignages d’engourdissement et d’impuissance dans les travaux où s’obstinent, aux approches de l’année 1830, quelques disciples vieillis de David, débiles imitateurs de sa manière ? Et quant aux œuvres de ces faux prophètes qui, pour régénérer l’art français, croyaient suffisant d’enchérir sur les audaces et, le plus souvent, sur les défauts de Delacroix, n’accusent-elles pas, aux yeux de quiconque les examine impartialement aujourd’hui, des intentions aussi vaines au fond, des infirmités de jugement et d’imagination aussi radicales que celles dont les œuvres des classiques les plus indigens portent l’empreinte ? La différence ne consiste en réalité que dans les formes, ici conventionnelles et mornes jusqu’à l’effacement absolu de la vie, là violentes ou incorrectes jusqu’à l’impertinence.

Il ne sera pas superflu d’ailleurs de faire remarquer que le talent de Delacroix lui-même, si personnel et si vivace qu’il fût, ne semble avoir subi qu’à son propre préjudice l’influence du milieu qui l’environnait alors. Les ouvrages du peintre qui avaient justement attiré sur son nom l’attention publique, — Dante et Virgile, le Massacre de Scio, — appartiennent à une époque antérieure à celle où se forma la secte romantique ; tandis que ses œuvres les

  1. Ces ouvrages avaient successivement paru aux Salons de 1819, de 1822 et de 1824.