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intrépidité personnelle et de répondre aux entreprises de la nouvelle école, tantôt par des vers satiriques, comme ceux qui sortaient de la plume naïvement irritée de M. Viennet, tantôt par des brochures plus ou moins didactiques, comme celles qu’avaient publiées coup sûr coup M. Jay et quelques autres croyans invétérés à la toute-puissance de la tradition. Un moment vint pourtant où de telles armes parurent insuffisantes aux combattants qui les avaient maniées, puisque, pour mettre fin à la lutte, ils crurent devoir recourir au roi lui-même et le conjurer formellement d’intervenir. Par une pétition au bas de laquelle figuraient les noms de MM. Arnault, Etienne, de Jouy, tous trois membres de l’Académie française, et les noms, — y compris bien entendu celui de M. Viennet, — de quatre autres écrivains appartenant à la même religion littéraire, Charles X était mis en demeure d’user de son autorité souveraine pour « écarter la tempête dramatique dont la scène française se voyait de plus en plus menacée ; » pour « repousser les incursions anglaises ou allemandes au-delà de cette scène, illustrée depuis deux siècles par les chefs-d’œuvre du génie national ; » en d’autres termes, pour en interdire l’accès à quiconque, dans notre pays, ne se montrerait pas observateur fidèle des lois en vigueur ou des usages établis, au temps de Racine comme au temps de Voltaire, et même au temps des plus pâles continuateurs de celui-ci.

En demandant au roi de restaurer par ordonnance le culte de la tragédie traditionnelle et de sévir contre les auteurs dramatiques coupables de manquement à la règle des trois unités, les signataires de cette étrange requête ne se donnaient pas seulement un ridicule ; ils commettaient une assez vilaine action, puisqu’ils en appelaient du droit à l’exercice arbitraire de la force, et, de plus, ils se heurtaient à une impossibilité. Que serait-il anivé, en effet, si leur appel eût été entendu et si, d’un autre côté, l’opinion eût résisté ? Aurait-on envoyé la garde royale contre les spectateurs applaudissant au Théâtre-Français le drame d’Alexandre Dumas, Henri III et sa Cour[1], et quelques mois plus tard, l’Hernani de Victor Hugo ?

Beaucoup mieux inspiré. que ceux qui s’adressaient à lui, Charles X comprit qu’il n’avait pas plus le pouvoir de briser le romantisme d’un coup de son sceptre que le devoir de se déclarer le patron officiel de la doctrine contraire. Aux doléances des pétitionnaires sur les périls que courait la dignité de notre théâtre, comme aux exhortations par lesquelles ils le pressaient de la

  1. Henri III fut représenté, pour la première fois, le 13 février 1829, quelques jours après celui où les signataires de la pétition avaient été reçus aux Tuileries.