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engagemens assez téméraires, et, vis-à-vis de l’Académie, des attitudes d’opprimés passablement ridicules. Il va sans dire qu’en relevant ici les premiers symptômes du mouvement-qui, sous l’étiquette romantique, allait bientôt éclater avec la turbulence que l’on sait, nous n’avons garde de confondre dans la même réprobation les jactances des révolutionnaires de rencontre et les hardiesses légitimes de quelques talens hautement inspirés. Ceux-ci d’ailleurs n’avaient pas attendu pour se produire que les docteurs de la foi nouvelle eussent publié leurs manifestes et proclamé, comme un droit à conquérir, la liberté de l’art et de l’esprit modernes. Géricault avait exposé son Radeau de la Méduse en 1819, Delacroix son Dante au Salon de 1822 et, au Salon suivant (1824), son Massacre de Scio. C’était donc en réalité après coup que l’on s’avisait de déployer le drapeau de l’indépendance et d’entrer bruyamment en guerre. En tout cas, c’était bien à tort que l’on s’en prenait à l’Académie des résistances que l’on pouvait rencontrer et des étroites doctrines ou s’entêtaient, en dehors d’elle, quelques disciples d’une tradition surannée.

Lequel des membres de la compagnie s’était montré hostile aux tentatives faites, avant la fin du règne de Louis XVIII, pour renouveler les conditions et pour vivifier les procédés de la peinture française ? Plusieurs d’entre eux, au contraire, n’avaient-ils pas ouvertement reconnu l’opportunité de l’entreprise et les mérites de ceux qui s’y dévouaient ? « Un peintre nous est né, » s’était écrié Gérard en face du tableau de Géricault, et Gros, en signalant à ses confrères certaines parties du Massacre de Scio, — notamment la figure nue de jeune fille attachée au cheval qui se cabre, — n’avait pas hésité à qualifier de « Rubens châtié, » l’auteur de ces remarquables morceaux de peinture. Bien plus : ce même Gros, dans ses propres ouvrages, — comme à sa manière, Prud’hon, dans les siens, — n’avait-il pas, longtemps avant les novateurs de l’heure présente, cherché et réussi, au milieu des servilités de l’école de David, à faire la part, et une large part, à la libre expression du sentiment personnel, à réhabiliter dans la pointure la verve de l’exécution, l’animation du coloris, la franchise ou la poésie de l’effet ? Certes, les Pestiférés de Jaffa et la Bataille d’Aboukir, le Champ de bataille d’Eylau et l’esquisse du Combat de Nazareth, n’ont rien de commun avec les toiles où la plupart des peintres d’histoire contemporains se contentaient de grouper, suivant la formule, un certain nombre de statues coloriées. Par un sentiment de naïve vénération pour son maître, Gros pouvait bien, de la meilleure foi du monde, déclarer qu’il n’aspirait à être que « le reflet » de celui-ci et, de son côté, David pouvait, avec une