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partit le lendemain pour ses domaines du Nord, échangeant ainsi l’exil forcé du continent contre un exil volontaire au sein de la patrie. Les deux époux ne sortirent plus de leur retraite, et, à vrai dire, ils n’en avaient guère besoin, les gens d’esprit, dont le duc aimait le commerce, venant les y visiter, et les éloges, dont la duchesse était particulièrement friande, affamée comme elle l’était de gloire, venant l’y trouver sous forme de complimens, d’épîtres universitaires et autres variétés de cette flatterie littéraire qui ne manque jamais aux puissans. Al. Jenkins nous donne le texte d’un de ces complimens, qu’il appelle justement audacieux, celui des membres de l’université de Cambridge : A Marguerite première, princesse des philosophes, qui a dissipé les erreurs, apaisé les différences des opinions et rétabli la paix dans la république des lettres ! Il est douteux que même en Italie, et dans les époques les plus serviles, on ait jamais eu à un plus haut degré l’impudence de l’adulation.

Ils exécutaient cependant de temps à autre de courts voyages à Londres, mais le souci de leur gloire littéraire y avait plus de part que l’envie de se recommander aux puissans du jour. Lorsqu’ils apparaissaient, ils faisaient aux courtisans, qui florissaient alors, l’effet de deux pièces vivantes d’un musée d’antiquités. Un de ces voyages est resté presque célèbre, celui qu’ils firent en 1667, le duc pour lancer sa comédie de Sir Martin Marall, faite en collaboration avec Dryden, la duchesse pour voir représenter une élucubration dramatique de sa façon qui s’appelait les Amans fantasques, et probablement aussi pour l’impression de la Vie de son mari, qui est justement de cette date. La duchesse parut à tous tellement surannée qu’elle arrachait un sourire d’ironie, même aux plus indulgens et aux plus amis. « Je suis allé aujourd’hui faire ma cour au duc et à la duchesse de Newcastle, qui sont récemment arrivés du Nord, à leur maison de Clerkenwell. Ils m’ont reçu avec une grande bienveillance, et j’ai été tout à fait charmé par les extraordinaires et fantasques costume, accoutrement et conversation de la duchesse, » écrit John Evelyn à la date du 18 avril. On ne s’entretenait dans Londres que de ses excentricités, si bien qu’un autre diarist du temps, Samuel Pepys, curieux de voir une personne dont il se faisait tant de récits, guetta pendant plusieurs semaines toutes les occasions de la rencontrer. C’est une véritable course au clocher des plus amusantes. Comme il était aussi assidu aux représentations dramatiques que son confrère Evelyn l’était aux sermons, c’est au théâtre qu’il alla d’abord la chercher. Il ne l’y trouva pas, et quelques jours après il se rabattit sur la cour, où elle n’était pas davantage. « 11 avril. A White-Hall,