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pouvoir souverain de la raison et l’autorité de la discrétion. Une nature grossière est pire qu’une nature brute, autant qu’un homme est supérieur à une bête, et ceux qui sont de nature polie et de dispositions courtoises sont aussi près des créatures célestes que ceux qui sont grossiers et cruels sont près des diables.


Tous ceux qui pour leur malheur ont l’expérience de la timidité comprendront en lisant ce passage pourquoi ils ne se sont jamais sentis rassurés que dans la compagnie des gens supérieurs ou d’une éducation accomplie, c’est-à-dire de ceux qui logiquement devraient inspirer le plus de craintes.

A cette timidité la duchesse ajoutait, quoique fille, sœur et femme de Cavaliers, cette sorte de poltronnerie charnelle qui se rencontre presque chez toute femme, pour telle chose ou pour telle autre. Nous avons connu une personne de la nature la plus vaillante, que l’approche d’une vache rencontrée en plein champ mettait en fuite, la duchesse de Newcastle était ainsi. C’est elle qui en fait l’aveu, pensant justement que cet aveu ne pouvait faire douter de son courage. « Si mes plus proches étaient en danger, volontairement et joyeusement je donnerais ma vie pour eux, pareillement n’épargnerais-je pas ma vie, si l’honneur m’ordonnait de mourir ; mais dans un danger où ni mes amis ni mon honneur ne sont intéressés et où ma vie peut être perdue sans profit, je suis la plus grande couarde du monde, comme en mer, ou dans des endroits dangereux, ou les voleurs, ou le l’eu, et autres dangers semblables ; la décharge d’un fusil, voire d’une canonnière, va me faire tressaillir, et bien moins encore ai-je le courage de tirer moi-même un coup de fusil, ou bien, si une épée est dirigée contre moi par simple plaisanterie, j’ai sérieusement peur[1]. » On voit que les objets de la poltronnerie de la duchesse étaient assez nombreux.


II

Quelles que soient les souffrances que sa timidité lui ait imposées, Marguerite Lucas n’eut qu’à s’en louer. Elle lui dut le bonheur de sa vie, s’il est vrai, comme elle l’insinue, que c’est à ses rougeurs, balbutiemens et yeux baissés qu’elle dut de faire la conquête du vaillant marquis de Newcastle. « Mylord le marquis de Newcastle approuva ces craintes timides que tant d’autres condamnaient. »

  1. J’extrais ces lignes de l’édition que sir Egerton Brydges a donnée d« l’autobiographie de la duchesse. M. Edouard Jenkins les a supprimées dans la sienne. Pourquoi ? Est-ce par crainte qu’elles ne pussent nuire à la duchesse dans l’esprit du lecteur ?