Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup plus haut et que les premiers symptômes en sont plus anciens que la naissance du Christ. Pendant longtemps, c’était Rome et sa banlieue de vigoureux paysans qui fournissaient les meilleurs soldats à la république. A l’époque d’Auguste, la sève est tarie. La grande ville cosmopolite et ses environs déserts ne peuvent plus recruter les légions. Le soldat venu de Rome ne se reconnaît pas à son courage, comme autrefois. Tacite nous le dépeint beau parleur, indiscipliné, gâté par les cabales du théâtre et du cirque, qui lui ont donné le goût de l’intrigue. Les bons soldats venaient alors de l’Italie, puis des provinces ; mais les provinces s’épuisèrent à leur tour. Les empereurs, qui auraient dû faire des efforts pour atténuer le mal, l’aggravèrent. Comme ils craignaient qu’un ambitieux ne se fit un parti dans l’armée, ils détournaient les gens riches de servir ; Gallien le défendit expressément à tous les sénateurs. Dès lors, les citoyens prirent l’habitude de déserter les camps : ils furent remplacés par les barbares. Rome en avait toujours eu à sa solde : même aux plus belles époques, ses armées se composaient en nombre égal de légions et d’auxiliaires. Avec le temps, les auxiliaires devinrent plus nombreux que les légions, et ils finirent par composer l’armée presque entière. Déjà, sous Tibère, un Gaulois osait dire : « Il n’y a de fort, dans les troupes romaines, que ce qui vient de l’étranger, nihil validum in exercitibus, nisi quod externum. »

Ces changemens ont mis des siècles à s’accomplir ; l’origine en remonte à Auguste, qui sépara le soldat du citoyen en rendant les armées permanentes. Tout était en germe dans cette innovation, et le germe s’est développé peu à peu à travers tout l’empire, produisant l’une après l’autre toutes ses conséquences, sans qu’il soit possible de dire exactement ce que le christianisme a pu ajouter à un mal qui était plus ancien que lui, et qui provenait d’autres causes.


VII

On a vu que Volusianus tenait à ne pas écrire des lettres trop longues. Je crois bien que, dans son désir d’être court, il n’a pas voulu tout dire. Il devait avoir un autre grief contre le christianisme dont il n’a pas entretenu saint Augustin, peut-être parce qu’il craignait de le blesser. Les beaux esprits qu’il réunissait chez lui, pour causer de rhétorique ou de philosophie, ne doutaient pas que les chrétiens ne fussent des ennemis déclarés des sciences et des lettres et que leur domination, quand ils deviendraient les maîtres, ne fît régner avec eux la barbarie sur la terre. Quelle raison avaient-ils de le