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De toutes ces objections, il n’y en a qu’une qui nous intéresse : Volusianus, avec ses airs de lettré et d’homme du monde, est au fond un politique, que sa naissance destine à gouverner des provinces, à être préfet du prétoire ou de la ville et qui se demande d’abord si la victoire du christianisme pourra servir l’Etat où lui nuire. La réponse lui semble facile. Le christianisme, dit-il, prêche le pardon des offenses, il veut qu’on ne rende à personne le mal pour le mal, qu’après avoir été frappé sur une joue, on présente l’autre, et que celui dont on a pris le manteau donne encore sa tunique. Quel sera, pour un pays, le résultat de cette admirable morale ? Il n’aura donc pas le droit de faire la guerre pour se défendre ou se venger ! Il lui sera interdit de rendre le mal pour le mal à l’ennemi qui le ravage ! la pratique de ces vertus évangéliques le conduit inévitablement à sa perte ; et voilà comment, ajoute Volusianus, les princes chrétiens sont incapables de sauver l’empire.

Ce raisonnement semblait difficile à réfuter. Il est certain que le christianisme, qui est une religion de paix, a toujours témoigné un grand éloignement pour la guerre. Tertullien, qui ne marchande jamais à dire ce qu’il pense, l’a formellement condamnée pour deux motifs. Le premier est tout théologique : « Le Seigneur, dit-il, en ordonnant à saint Pierre de remettre son épée au fourreau, a désarmé les soldats. » L’autre est d’ordre plus humain. Parmi les barbares que l’on va combattre, il peut se trouver des chrétiens, car le christianisme a pénétré plus loin que les aigles romaines et il a fait des conquêtes dans toute la Germanie. On est donc exposé à tuer des frères, ce qui ne peut pas être permis. Tertullien, qui, comme on l’a vu, n’est guère Romain de sentiment, et qui déclare que les affaires de son pays lui sont tout à fait étrangères, ajoute : « Nous n’avons qu’une république, c’est le monde. » Pour qui fraternise avec l’univers entier, la guerre est le plus grand des crimes.

Par un étrange contraste, le christianisme, qui avait si peu de goût pour la guerre, paraît s’être beaucoup répandu parmi les soldats. Nous savons qu’ils étaient d’ordinaire très superstitieux ; les inscriptions nous les montrent élevant sans cesse des temples et des autels. Ils aimaient assez les dieux nouveaux et prenaient facilement la religion des pays qu’ils traversaient. Nous voyons que beaucoup étaient des adorateurs zélés de Sérapis, de Mithra, du Jupiter d’Héliopolis ou de Doliché. Beaucoup aussi s’affilièrent à la religion du Christ. Comme il n’était pas dans les habitudes de leur métier d’être prudens, ils le laissèrent voir, et, pendant les persécutions, ils furent impitoyablement poursuivis et condamnés.