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et rarement profitable. Les lois Juliennes, qui semblaient devoir sauver l’empire, ne servirent qu’à tracasser inutilement plusieurs générations : c’est d’elles que Tacite a dit : « Autrefois, nous souffrions des maladies, maintenant nous sommes malades des remèdes. » Ajoutons que ces remèdes, qui sont pires que le mal, ne le guérissent pas ; la dépopulation augmente toujours. « L’heureuse Campanie, qui n’a pas encore vu un barbare, compte déjà 120,000 hectares où il n’y a ni une chaumière, ni un homme. » Sous Gallien, la grande ville d’Alexandrie n’a plus que la moitié de ses habitans. Si l’on applique cette proportion au monde entier, dit Gibbon, on est autorisé à croire que la moitié du genre humain avait disparu. Il fallait trouver au plus vite un moyen d’arrêter ce fléau qui privait l’empire de laboureurs et de soldats. Les princes en imaginèrent un qui devait avoir les conséquences les plus funestes. Ils se résignèrent à introduire les barbares dans les provinces les plus malheureuses. C’était un grand péril d’établir ainsi l’ennemi chez soi ; les peuples n’y virent qu’un grand bienfait. Comme l’impôt devait toujours être le même, et que ceux qui restaient dans un pays payaient pour ceux qui n’y étaient plus, la charge devenait plus légère quand le nombre des habitans augmentait. On ne se demandait pas d’où ils venaient, s’ils payaient leur part et diminuaient ainsi celle des autres. L’intérêt du moment faisait oublier les dangers du lendemain. Constance Chlore, ayant laissé entrer des barbares de la Frise, pour peupler un canton abandonné de la Gaule, son panégyriste ne trouve pas de termes assez vifs pour l’en remercier. « Ainsi, le Chamave laboure pour nous. Lui, qui nous a si longtemps ruinés par ses déprédations, s’occupe maintenant à nous enrichir. Le voilà vêtu en paysan qui s’épuise à travailler, qui fréquente nos marchés et apporte ses bêtes pour les vendre. C’est ainsi qu’un barbare, devenu laboureur, contribue à la prospérité publique. »

Songeons qu’à ce moment la vie monastique naissait à peine dans les solitudes de l’Egypte et de la Syrie. L’Occident ne devait la connaître qu’un siècle plus tard. Il est donc impossible de la rendre responsable d’une dépopulation que les désastres de cette époque suffisent à expliquer et de l’expédient périlleux qu’on avait trouvé pour y remédier. Le mal et le remède sont beaucoup plus vieux qu’elle.


VI

On fait au christianisme un autre reproche, qui n’est pas moins grave : on dit que, par la nature même de sa doctrine, il répugne