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théorique, ni le mécanisme pratique, pas même les noms[1]. Après les préfets de l’Empire, voici venir les préfets de la Restauration, avec le même titre et le même costume, installés dans le même hôtel, pour faire la même besogne, avec un zèle égal, c’est-à-dire avec un zèle dangereux, si bien qu’à leur audience finale, quand ils partent pour leur département, M. de Talleyrand, profond connaisseur des institutions et des hommes, leur donne, comme dernière instruction, ce mot d’ordre admirable : « Surtout, pas de zèle ! » — Selon le conseil de Fouché, les Bourbons « se sont couchés dans le lit de Napoléon ; » c’est le lit de Louis XIV, mais plus ample et plus commode, élargi par la Révolution et par l’Empire, adapté à la taille de son dernier occupant, agrandi par lui jusqu’à couvrir toute la France. Quand, après vingt-cinq ans d’exil, on rentre dans sa maison, il est agréable d’y trouver un pareil lit tout dressé ; le défaire et refaire l’ancien, ce serait double embarras ; d’ailleurs, dans l’ancien, on était moins à l’aise : profitons de ce que les révoltés et l’usurpateur ont fait de bon. Sur cet article, non-seulement le roi, mais encore les Bourbons les plus surannés, sont révolutionnaires et bonapartistes ; autoritaires par tradition et accapareurs par situation, ils acceptent sans regret la démolition systématique opérée par la Constituante et la centralisation systématique instituée par le Premier consul. Promené en 1815 parmi les ponts, les canaux, les superbes chaussées du Languedoc, le duc d’Angoulême, à qui l’on rappelle que ces grands travaux ont jadis été faits par les États de la province, répond sèchement : « Nous préférons les départemens aux provinces[2]. »


Sauf quelques royalistes antiquaires et demi-ruraux, personne ne réclame ; on ne songe pas à reconstruire la machine sur un autre plan ; c’est que les gens, en somme, ne sont pas mécontens de son jeu. Elle fonctionne bien, avec efficacité ; sous la Restauration comme sous l’Empire, elle rend aux intéressés le service qu’ils lui demandent ; elle pourvoit de mieux en mieux aux deux grands objets de la société locale, au soin de la voie publique et aux travaux de défense contre les fléaux naturels. En 1814, son

  1. M. de Villèle, ib., I, 248.
  2. Sur l’administration locale et sur les sentimens des différentes classes de la population, on trouvera, aux Archives nationales, les renseignemens les plus abondans et les plus précis, dans la correspondance des préfets de la première restauration, des Cent jours et de la seconde restauration, de 1814 à 1823. (Cf. notamment la Haute-Garonne, le Rhône, la Côte-d’Or, l’Ain, le Loiret, l’Indre-et-Loire, l’Indre, la Loire-Inférieure, l’Aisne.) Les lettres de plusieurs préfets, M. de Chabrol, M. de Tocqueville, M. de Rémusat, M. de Barante mériteraient souvent d’être publiées ; parfois, en marge, le ministre de l’intérieur a fait un trait au crayon, avec cette note : A mettre sous les yeux du roi.