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D’ailleurs, pour représenter son gouvernement, il a besoin de gens décoratifs ; or il n’y a que ceux-ci pour l’être gratis, pour faire figure sans appointemens, à leurs propres frais, d’eux-mêmes et sur place. En outre, ils sont les plus éclairés, les plus capables d’entendre un compte, d’examiner article par article les budgets du département et de la commune, de comprendre la nécessité d’une route et l’utilité d’un canal, de présenter des observations pertinentes, d’émettre des vœux intelligens, d’être, en sous-ordre, des collaborateurs discrets, mais utiles. Ils ne s’y refuseront pas, s’ils ont du bon sens ; en tout régime, il vaut mieux être avec les gouvernails qu’avec les gouvernés, et, dans celui-ci, où le balai, manié d’en haut, passe incessamment, avec tant de vigueur et de minutie, sur tous les hommes et sur toutes les choses, il importe d’être du côté du manche.

Bien mieux, ils s’offriront, surtout dans les commencemens, s’ils ont du cœur ; car, au moins dans les premières années, l’un des grands objets du gouvernement nouveau est le rétablissement de l’ordre ; dans l’administration locale comme dans l’administration générale, il est bienfaisant et réparateur, il entreprend de supprimer le vol, la concussion et le gaspillage, les usurpations préméditées ou involontaires, la fantaisie, l’incurie et la faillite : « Depuis 1790[1], dit le premier consul au ministre de l’intérieur, les 36,000 communes représentent, en France, 30,000 orphelines,.. filles délaissées ou pillées depuis dix ans par les tuteurs municipaux de la Convention et du Directoire, en changeant de maires, d’adjoints et de conseillers de commune, elles n’ont guère fait en général que changer de mode de brigandage ; on a volé le chemin vicinal, on a volé le sentier, on a volé les arbres[2], on a volé

  1. Correspondance de Napoléon, n° 4474, note dictée à Lucien, ministre de l’intérieur, an VIII.
  2. Cf. les Procès-verbaux des conseils généraux de l’an VIII, et surtout de l’an IX. — « Nombre de chemins vicinaux ont disparu entièrement, par l’usurpation des propriétaires voisins. Les grandes routes pavées sont elles-mêmes en proie. » (Par exemple Vosges, p. 429, an IX) « Les routes du département sont dans un tel état de dégradation que les riverains enlèvent les pavés pour bâtir leurs maisons et pour enclore leurs héritages. Chaque jour, les riverains empiètent sur les routes ; les berges sont cultivées par eux comme leurs propres champs. »