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vieille monarchie qu’il veut rallier de gré ou de force. Tel le baron de Vitrolles[1] qui, sans l’avoir demandé, devient maire de Vitrolles et conseiller général des Basses-Alpes, puis, un peu plus tard, à son corps défendant, inspecteur des bergeries impériales. Tel le comte de Villèle, qui, rentrant dans sa terre de Morville après quatorze ans d’absence, tout à coup, « avant même d’avoir fait élection de domicile, soit à la ville, soit à la campagne, » se trouve maire de Morville. Pour lui faire place, on a révoqué son prédécesseur, et celui-ci, « qui, depuis le commencement de la Révolution remplissait les fonctions de maire, » est rabaissé au poste d’adjoint. Peu de temps après, le gouvernement nomme M. de Villèle président de l’assemblée cantonale ; naturellement l’assemblée, avertie sous main, le porte comme candidat au conseil général de la Haute-Garonne, et il y est nommé par le gouvernement. — « Tous les propriétaires notables du département faisaient partie de ce conseil, et la Restauration nous y trouve encore sept ans après. Il existait évidemment des ordres généraux pour enjoindre aux préfets de choisir de préférence les anciens propriétaires les plus considérables du pays. » De même, « Napoléon prend partout les maires dans la classe aisée et riche ; » dans les villes importantes, il ne fixe son choix que sur « les gens roulant voiture[2]. » Beaucoup à la campagne et plusieurs dans les villes sont des légitimistes, au moins de cœur, et l’Empereur ne l’ignore pas ; mais, dit-il, « ces gens-là ne peuvent vouloir que le sol tremble ; » ils sont trop intéressés, et trop personnellement, au maintien de l’ordre[3].

  1. Barou de Vitrolles, Mémoires, préface XXI. Comte de Villèle, Mémoires et correspondance, I, 189 (août 1807).
  2. Faber, Notice sur l’intérieur de la France (1807), p. 25.
  3. La pièce suivante montre le sens et la portée du changement qui s’opère à partir de l’an VIII et le contraste des deux personnels administratifs. (Archives nationales, F. 7, 3219 ; lettre de M. Alquier au premier consul, 18 pluviôse an VIII.) M. Alquier, en mission pour Madrid, s’était arrêté à Toulouse et envoie un rapport sur l’administration de la Haute-Garonne : « J’ai voulu voir l’administration centrale. J’y ai trouvé les idées et le langage de 1793. Deux personnages y jouent un rôle actif, les citoyens Barreau et Desbarreaux. Le premier a exercé, jusqu’en 1792, le métier de cordonnier, et il n’a dû sa fortune politique qu’à son audace et à son délire révolutionnaire. Le second, Desbarreaux, a été comédien à Toulouse ; il y jouait les valets ; au mois de prairial an III, il a été forcé de demander pardon sur la scène, à genoux, d’avoir prononcé des discours incendiaires, à une époque antérieure, dans le temple décadaire. Le public, ne jugeant pas la réparation suffisante, refusa de l’entendre et le chassa du théâtre. Aujourd’hui, il réunit à ses fonctions d’administrateur du département l’emploi de caissier des comédiens, qui lui paient, à ce titre, 1,200 francs d’émolumens… On ne reproche point aux municipaux de manquer de probité ; mais ils ont été tirés d’une classe trop inférieure et ils ont trop peu de considération personnelle pour atteindre à la considération publique… La commune de Toulouse souffre impatiemment d’être gouvernée par des hommes faibles, ignorans, confondus autrefois dans la foule et qu’il est pressant peut-être d’y faire rentrer… C’est une chose à remarquer que, dans une cité importante, qui offre un grand nombre de citoyens recommandables dans tous les genres de talent et d’instruction, on n’ait appelé aux fonctions publiques que des hommes qui, sous le rapport de l’éducation, des connaissances acquises et des formes de convenance, n’offrent aucune garantie au gouvernement et aucun motif à l’estime publique. »