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son opinion, l’opinion du gouvernement ; là-dessus, ils votent. Infailliblement sur la liste qu’ils présentent, la moitié au moins ides candidats sont bons, et cela suffit, puisque les présentations sont en nombre double des vacances. Pourtant, aux yeux de Napoléon, cela ne suffit pas. Pour la nomination des conseillers généraux[1], comme pour celle des conseillers municipaux, il supprime la candidature préalable, dernier reste de la représentation ou délégation populaire. Selon sa théorie, il est lui-même l’unique représentant et délégué du peuple, investi de tous les pouvoirs, non seulement dans l’Etat, mais encore au département et à la commune, premier moteur et moteur universel de toute la machine, non-seulement au centre, mais encore aux extrémités, dispensateur de tous les emplois publics, non-seulement pour y suggérer le candidat et y nommer le titulaire, mais encore pour créer directement, du même coup, le titulaire et le candidat.


VII

Notez les choix qu’il s’impose d’avance ; ce sont les choix auxquels il astreignait les corps électoraux. Substitué à ces corps, il prendra, comme eux, les conseillers généraux parmi les plus imposés du département et les conseillers municipaux parmi les plus imposés du canton ; d’autre part, en vertu de la loi municipale, c’est parmi les conseillers municipaux qu’il choisit le maire. Ainsi les auxiliaires et agens locaux qu’il emploie sont tous des notables de l’endroit, les principaux propriétaires, les plus gros industriels et négocians ; par système, il enrôle dans ses cadres les distributeurs du travail, tous ceux qui, par leur fortune et leur résidence, par leurs entreprises et leur dépense sur place, ont une influence ou une autorité sur place. Afin de n’en omettre aucun et de pouvoir introduire dans les conseils généraux tel vétéran de l’ancien régime, qui est riche, ou tel parvenu du régime nouveau, qui n’est pas riche, il s’est réservé d’ajouter à la liste des éligibles vingt membres, « dont dix pris parmi les citoyens appartenant à la Légion d’honneur ou ayant rendu des services, et dix pris parmi les trente plus imposés du département. » De cette façon, aucun des notables. ne lui échappe ; il les recrute à sa guise et, selon ses besoins, tantôt parmi les hommes de la Révolution qu’il ne veut pas laisser tomber dans le discrédit et l’isolement[2], tantôt parmi les hommes de la

  1. Décret du 13 mai 1806, titre III, article 32.
  2. Thibaudeau, ib., 294 (paroles du Premier consul au conseil d’État, 16 thermidor an X). « Que sont devenus les hommes de la révolution ? Une fois sortis de place, ils ont été entièrement oubliés ; il ne leur est rien resté ; ils n’ont aucun appui, aucun refuge naturel. Voyez Barras, Rewbell, etc. » Cet asile qui leur manque leur sera fourni par les collèges électoraux. « C’est aujourd’hui qu’on y nommera le plus d’hommes de la révolution ; plus on attendra, moins on en aura… A l’exception de quelques hommes qui ont été sur un grand théâtre,.. qui ont signé un traité de paix,.. tout le reste est dans l’isolement et l’obscurité. Voilà une lacune importante à remplir… c’est pour cela que j’ai fait la Légion d’honneur. »