Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/731

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et conduite de l’eau potable, désinfection des lieux contaminés et autres soins d’hygiène répressive ou préventive contre l’insalubrité qui naît du voisinage ou du contact.

Il s’agit de pourvoir à cela, et l’entreprise, sinon tout entière et dans ses développemens, du moins en elle-même et dans ce qu’elle a de nécessaire, s’impose collectivement à tous les habitans de la circonscription, à tous, depuis le premier jusqu’au dernier. Car, faute de voie publique, aucun d’eux ne peut faire sa besogne quotidienne, circuler ou même sortir de chez soi ; les transports cessent et le commerce est suspendu ; par suite, les métiers et les professions chôment, l’industrie s’arrête, l’agriculture devient impraticable ou infructueuse ; les champs ne sont plus desservis, les provisions, les vivres, y compris le pain[1], tout manque, et les habitations deviennent inhabitables, plus inhabitables que n’est la maison d’Annecy, quand le toit crevé y laisse entrer la pluie. — D’autre part, faute de défense contre les fléaux, les fléaux se donnent carrière : demain, une marée d’équinoxe submergera toute la côte plate, le fleuve débordé ira dévaster au loin les campagnes, l’incendie gagnera de proche en proche, la petite vérole et le choléra se communiqueront, et les vies seront en péril[2], en péril plus grave que dans la maison d’Annecy, lorsque les gros murs menacent de s’effondrer. — Sans doute, je puis accepter pour moi-même cette condition misérable, m’y résigner, consentir, pour mon propre compte, à me claquemurer dans mon logis, à y jeûner, à courir la chance plus ou moins prochaine d’être noyé, incendié, empoisonné ; mais je n’ai pas le droit d’y condamner autrui, ni de

  1. Rocquain, l’Etat de la France au 18 Brumaire (rapport de Fourcroy), p. 138, 166) : « Une quantité de blé valant 18 francs à Nantes coûte une égale somme pour être transportée à Brest. J’ai vu des rouliers, ne pouvant marcher que par caravanes de sept ou huit, ayant chacun de six à huit forts chevaux attelés à leurs voitures, aller les uns après les autres, se prêtant alternativement leurs chevaux pour sortir des ornières où leurs roues sont engagées… Dans beaucoup d’endroits, j’ai vu avec douleur les charrettes et les voitures quittant la grande route et traversant, dans des espaces de 100 à 200 mètres, les terres labourées, où chacun se fraie un chemin… Les rouliers ne font quelquefois que trois ou quatre lieues entre deux soleils. » — Par suite, disette à Brest. « On assure qu’on y est depuis longtemps à demi-ration et peut-être au quart de ration. — Cependant, il y a maintenant en rivière, à Nantes, quatre cents à cinq cents vaisseaux chargés de grains ; ils y sont depuis plusieurs mois et leur nombre augmente tous les jours ; les matières qu’ils renferment se détériorent et s’avarient. »
  2. lb., préface et résumé, p. 41 (sur les digues et ouvrages de défense contre l’inondation à Dol en Bretagne, à Fréjus, dans la Camargue, dans le Bas-Rhin, le Nord, le Pas-de-Calais, à Ostende et Blankenberg, à Rochefort, à la Rochelle, etc.). — A Blankenberg, il suffisait d’un fort coup de vent pour emporter la digue, dégrader et ouvrir entrée à la mer. « La crainte d’un sinistre, qui eût ruiné en grande partie les départemens de la Lys et de l’Escaut, tenait les habitans dans des transes continuelles. »