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la réunion. Il s’est plu à affecter la plus grande confiance, le plus parfait optimisme. Il a exposé une fois de plus avec complaisance ses projets législatifs sur la réforme agraire en Irlande, sur la dîme dans le pays de Galles, et n’a point négligé de réchauffer le zèle de ses amis en les exhortant à l’union, à la discipline. Le premier ministre de la reine a beau s’en défendre : son optimisme ressemble un peu à une décoration officielle, et ce n’est pas sans quelque raison inavouée qu’il a provoqué la réunion de Carlton-Club. Évidemment lord Salisbury est inquiet de symptômes qu’il voit se multiplier, et peut-être l’est-on encore plus autour de lui. Les plus hardis, les plus habiles de ses coopérateurs. M. Goschen, M. Balfour ne seraient pas, à ce qu’il paraît, insensibles au danger d’un affaiblissement progressif du parti conservateur et de la situation ministérielle ; ils n’auraient, dit-on, songé à rien moins qu’à un appel au pays par une dissolution anticipée du parlement. Les projets qui semblent avoir été agités un instant dans le monde ministériel indiqueraient assez qu’on se préoccupe de tous ces faits, des progrès des libéraux dans les élections partielles, des inconsistances de la majorité, des défections qui peuvent se produire, — qu’on sent l’ébranlement. Une dissolution prématurée cependant risquerait d’être une extrémité périlleuse ; au lieu de raffermir le ministère de lord Salisbury, elle pourrait au contraire précipiter un mouvement d’opinion qui se manifeste déjà sous plus d’une forme.

Aussi bien les difficultés ministérielles ne sont-elles pas rares au moment présent. Elles semblent au contraire se multiplier de toutes parts en Europe. Il y en a sûrement à Rome où la position de M. Crispi paraît devenir assez critique au milieu des malaises qui s’accroissent et des velléités d’opposition qui se manifestent. Il y en a en Hongrie où M. Tisza a été obligé de se retirer et où un nouveau ministère est à peine formé. Il y en a à Belgrade. Il y en aura peut-être demain à Madrid où le chef du cabinet, M. Sagasta, qui avait déjà assez de peine à vivre, voit s’élever et s’organiser contre lui une opposition militaire des plus dangereuses. Presque partout, au nord et au midi, on va vers une crise ou l’on en sort péniblement. Puis après la crise, ce sont les explications, les déclarations, les discussions qui souvent n’éclaircissent rien et ne créent pas une vie facile aux gouvernemens. Le fait est que de toutes parts, dans tous les pays, il y a aujourd’hui des crises ou des commencemens de crises et que la paix intérieure comme la paix extérieure des peuples reste livrée à l’imprévu.


CH. DE MAZADE.