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appelle la triple alliance. Évidemment, la situation n’est plus la même, on le sent à Rome comme à Vienne. L’entrée en scène directe et personnelle d’un jeune souverain qui, du premier coup, parle d’aller « à toute vapeur, en avant, » n’est pas de nature à simplifier les rapports et à inspirer une confiance sans réserve. Bref, ce qu’il y a de plus clair pour le moment, c’est que dans les affaires diplomatiques de l’Europe comme dans les affaires intérieures de l’Allemagne, une ère nouvelle commence avec cette révolution de pouvoir, œuvre d’un jeune prince qui ne sait peut-être pas encore lui-même ce qu’il fera demain de sa liberté reconquise et de sa puissance.

On ne peut pas dire sans doute qu’il y ait rien de changé dans l’état général des affaires britanniques, que l’Angleterre soit menacée d’une de ces crises par lesquelles passent à l’heure qu’il est d’autres pays de l’Europe. Il n’y a ni les apparences, ni les élémens réels d’une crise immédiate ou prochaine à Londres. Tout suit au contraire un cours assez paisible pour que la reine Victoria ait cru pouvoir quitter l’Angleterre et se rendre à Aix-les-Bains, où elle est allée déjà plus d’une fois depuis quelques années. Le prince de Galles, de son côté, était, ces jours derniers, à Berlin, où il était allé assister à une assemblée de l’Aigle noir, et où il a eu la chance d’être le témoin d’un grand drame, de la démission retentissante de M. de Bismarck, où il a pu aussi entendre les toasts lyriques de son impérial neveu à Blücher et à Wellington ! Le chef du cabinet, lord Salisbury lui-même enfin, s’est décidé à venir prendre quelques semaines de repos à Cannes et retremper sa santé aux bords de la Méditerranée. Puis le parlement, lui aussi, prend ses vacances de Pâques, — et en voilà pour quelques semaines ! Ce ne sont sûrement pas là les signes d’une crise imminente. Lord Salisbury en a encore pour quelque temps et l’éclipsé même du tout-puissant d’hier, du chancelier d’Allemagne, n’est pas faite pour diminuer la position du premier ministre de la Grande-Bretagne dans les conseils diplomatiques de l’Europe.

Les voyages d’agrément, et les apparences cependant ne prouvent rien. Il n’est pas moins assez visible qu’il y a depuis quelque temps un certain ébranlement en Angleterre, qu’il y a dans l’opinion, même dans le parlement, un travail qui ne laisse pas d’être menaçant pour le ministère conservateur dont lord Salisbury est le chef, dont M. Balfour et M. Goschen sont les hommes d’action. De quelque façon qu’on juge les choses, il est certain que le ministère n’est pas sorti triomphant de la dernière campagne dirigée contre M. Parnell et ses amis, que même après l’enquête et les discussions parlementaires qui en ont été la suite, il est resté fort suspect de s’être associé à des manœuvres, au moins équivoques. Lord Salisbury a eu beau se défendre ces jours passés encore et récriminer contre les conspirations irlandaises, contre