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omnipotens est fini, que l’empereur se réserve la direction de la politique de l’empire. Une seule chose est certaine. C’est qu’on entre dans une ère nouvelle, qui est un peu l’inconnu, et que la disparition d’un homme comme M. de Bismarck qui a touché à tout, qui hier encore était maître de tout, laisse momentanément une assez grande incertitude. Guillaume II, dans cette étrange dépêche qu’il adressait récemment à un ami de Weimar, disait qu’il était désormais l’officier de quart sur le vaisseau de l’État, et il ajoutait : « La route reste la même, et maintenant, eh bien ! à toute vapeur, en avant ! » C’est fort bien de ne pas craindre le danger. Malheureusement cette intrépidité de jeunesse ne supprime ni ne résout les questions que M. de Bismarck en se retirant à Friedrichsruhe laisse en suspens et que le jeune empereur, avec ses impatiences agitées, ne simplifie peut-être pas.

Quand Guillaume II, par ses rescrits et par ses discours, a soulevé tous ces problèmes sociaux qui sont le tourment de notre temps et a cru pouvoir appeler toutes les puissances en consultation dans une conférence à Berlin, il a obéi sans doute à une inspiration spontanée et généreuse. Seulement, il n’a pas vu qu’il donnait une force redoutable aux revendications ouvrières, qu’il proposait des questions insolubles à cette conférence, qui s’est réunie, en effet, à Berlin pour entendre des discours ou émettre des vœux platoniques, et qu’au lendemain de la conférence, il se retrouverait en face de ce mouvement socialiste, qui se traduit plus que jamais par des grèves, par des projets de manifestations. Que fera-t-il maintenant ? Il est, jusqu’à un certain point, engagé par ses paroles, par ses encouragemens ; il a traité le socialisme en puissance légitime, reconnue et admise dans un congrès. Se laissera-t-il aller jusqu’au bout à ce courant, qu’il ne pourra, certes, se flatter de diriger, ni de maîtriser ? Cédera-t-il, au contraire, à l’impatience d’un esprit désabusé et irrité ? Reviendra-t-il à la politique de la régression et de la force contre des revendications qu’il a lui-même sanctionnées et encouragées par ses rescrits ? Dans les deux cas, le péril serait sans doute également grand, et il aurait cela de grave qu’il pourrait ne pas rester circonscrit en Allemagne. — D’un autre côté, quelle sera l’influence des derniers changemens accomplis à Berlin sur la politique extérieure ? L’empereur, il est vrai, s’est hâté de déclarer que « la route restait la même, » qu’il n’y avait rien de changé, que l’Allemagne, aujourd’hui comme hier, entendait maintenir la paix et ses alliances. C’est, d’après toutes les apparences, l’intention de l’empereur ; c’est probablement ce que le nouveau chancelier sera chargé de déclarer aux cabinets de l’Europe. Il n’est pas moins assez clair que la disparition soudaine de M. de Bismarck a eu pour premier résultat de dérouter les chancelleries, de mettre plus vivement à nu ce qu’il y a de contraint et de précaire dans ce qu’on