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qu’il recommençât dans le troisième. Aussi la vraie pièce était-elle dans la salle, où, de scène en scène, avec une curiosité bien naturelle on s’attendait à voir le sujet avancer d’un pas. Mais la toile est tombée sans que personne pût discerner où l’auteur en voulait venir, et nous cherchons encore ce qu’il a prétendu faire en écrivant Grand’ Mère. Pas plus que M. Jean Jullien, M. George Ancey ne sait encore développer : ou plutôt, il en confond l’art avec celui de se répéter, comme l’auteur du Maître avec celui de s’agiter.

On en voit, je crois, la raison : c’est que leurs sujets n’en sont point. Déjà dans le roman, mais surtout au théâtre, il faut que les sujets enveloppent quelque intérêt plus général qu’eux-mêmes. S’il se peut que la peinture nous intéresse par la ressemblance des choses dont les originaux ne nous intéressent point, et au besoin nous choqueraient, c’est qu’elle est muette, je veux dire, c’est qu’elle ne se sert point de mots. Et s’il est possible que l’imitation de la réalité familière suffise quelquefois à nous plaire dans le roman, c’est que nous le lisons seul à seul. Mais au théâtre, c’est au public, encore une fois, c’est à la foule que l’on s’adresse, et conséquemment ce ne peut être qu’à ce qu’il y a de plus commun, j’entends de plus général en elle. Le théâtre est une action publique ; et il en résulte cette double obligation, pour le drame et pour la comédie, d’abord qu’ils ne sauraient rien traiter de trop exceptionnel, — nous le disions plus haut, — et ensuite, que, les parties de la vie qu’ils imitent, ils doivent encore les interpréter. Non pas, évidemment, que l’on y doive soutenir ce qu’on appelle des thèses, quoique d’ailleurs il y ait des thèses proprement et éminemment dramatiques. Non pas même qu’il s’y agisse de prouver quelque chose, quoique l’on pût discuter encore sur ce point, et que cela dépende après tout de ce que l’on entendrait par prouver : l’École des femmes et Tartuffe, comme la Dame aux Camélias et les Lionnes pauvres, ont bien l’intention de prouver quelque chose. Mais il faut enfin que douze ou quinze cents personnes assemblées, de toute condition, de tout sexe, et de tout âge, y retrouvent ce qui fait d’elles les parties d’une même société. Toutes les fois donc que le drame ou la comédie, plus ou moins indirectement, ne toucheront pas à ces questions communes, ils manqueront du genre d’intérêt qui leur est propre, et, quelques qualités qu’on y puisse déployer, ils seront ce que l’on voudra, mais non pas du théâtre. Voilà pourquoi la peinture des conditions spéciales y pourra bien amuser quelques dilettantes, mais non pas intéresser toute une salle. Voilà pourquoi l’analyse d’un cas psychologique rare ou extraordinaire témoignera sans doute en faveur de la subtilité d’esprit ou du talent de l’auteur, mais ne remplira pas l’attente du spectateur. Et voilà pourquoi, drame ou comédie, nous demanderons qu’ils roulent toujours sur quelqu’une de ces relations ou de ces questions qui intéressent tous les « états. »