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Mais ce qu’on pourrait lui emprunter, ou ce qu’on pourrait apprendre de lui, c’est un art qui n’est pas moins indispensable à l’auteur dramatique qu’à l’orateur lui-même, c’est l’art de développer. Il n’y a rien encore qui semble manquer davantage à nos jeunes auteurs. Quelques indications ou plutôt quelques notations sommaires leur suffisent ; et l’on dirait que ceux mêmes d’entre eux qui ont de réelles qualités de dialogue ne savent pas la manière ou l’art de s’en servir. Je songe, en écrivant ceci, à la pièce de M. Jean Jullien, le Maître, « étude en trois tableaux, » où, si l’on ne voit pas très clairement ce que l’auteur a voulu faire, je crois pourtant qu’il le savait lui-même, mais il est admirable, pour n’avoir pas plus tôt commencé de développer une idée ou une situation, qu’il la quitte pour passer à une autre. Est-ce au « maître » qu’il a prétendu nous intéresser, au père de famille volontaire et absolu ? Mais il faudrait alors que ce « maître » en fût un, et quiconque a trouvé la manière de s’y prendre, il fait ce qu’il veut de ce tyran domestique. Est-ce à l’avidité de sa femme et de son fils, qui le croyaient déjà mort, et qui ne peuvent se consoler de le voir reprendre, avec la santé, le gouvernement de ses biens, de ses étables, de sa cave, et de sa bourse ? Est-ce à l’ingratitude inattendue dont il fait preuve envers le pauvre diable de vagabond qui l’a sauvé de la mort ? Ou bien encore est-ce aux amours de Pierre Boudas et de Françoise Fleutiaut ? Faute d’explications ou de développemens, c’est-à-dire pour n’avoir pas eu l’art de trouver dans un seul de ces quatre sujets de quoi remplir ses « trois tableaux », M. Jean Jullien les a mêlés tous les quatre ensemble. Un seul pourtant eût pu suffire, mais il eût fallu savoir en tirer ce qu’il contenait.

C’est ce que semblait s’être proposé M. George Ancey, dans Grand’ Mère. Une bonne dame, à qui ses filles n’avaient donné que des petites-filles, attendait avec impatience la naissance d’un petit-fils. Elle avait compté sans son fils qui prétend, lui, garder l’enfant pour lui tout seul, et qui, pour le soustraire à l’envahissante affection de l’excellente grand’ mère, n’imagine rien d’autre ni de mieux que de déménager. Mais à peine a-t-il visité quelques appartemens que la bonne dame, plus subtile, loue, pour l’habiter « en famille, » l’hôtel même qu’avait choisi ce fils d’humeur trop indépendante, et, moyennant la promesse d’un cheval et d’une voiture, on se réconcilie. Sujet bizarre ; vaudeville pessimiste, que quelques traits d’observation juste et quelques qualités de dialogue n’ont pas pu préserver de tomber ; sujet insignifiant, dont l’auteur du Roman chez la portière eût bien tiré trois ou quatre scènes ; et sujet cependant dont M. George Ancey n’a pas voulu, lui, tirer moins de trois actes. Mais comment les en a-t-il tirés ? D’une manière si simple qu’elle en parut ce soir-là puérile, ou écolière. Car, la situation étant donnée tout entière dans le premier acte, il ne pouvait qu’y revenir dans le second, et l’ayant épuisée dans le second, il fallait bien encore