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longtemps qu’un pays ne peut subsister dans sa force et son unité que si tous les citoyens partagent les mêmes croyances. On pense aujourd’hui que, même divisés entre des religions différentes, ils peuvent s’entendre et s’unir, quand il s’agit du bien commun et que la diversité des cultes n’est pas une cause nécessaire d’affaiblissement pour le sentiment national. C’est la condition de la plupart des États modernes, elle ne nuit pas à leur prospérité, et il n’y avait pas de raison pour que l’empire romain s’en trouvât plus mal qu’eux.


IV

Il semble donc que le christianisme et l’empire n’étaient pas, de leur nature, irréconciliables et incompatibles, puisqu’ils ont vécu ensemble pendant tout un siècle, sans se trop gêner l’un l’autre. Ce siècle nous paraît en général fort triste, et nous sommes tentés de le juger avec rigueur. Nous avons toujours devant les yeux la terrible catastrophe qui le termine ; elle projette son ombre sur les années qui précèdent et nous rend injustes pour les princes qui n’ont pas su l’éviter. Les contemporains étaient moins sévères que nous, et les lettres de Symmaque nous montrent que même les païens ne se trouvaient pas alors trop malheureux de vivre. Cependant on peut trouver que cette expérience, quelque longue qu’elle soit, n’est pas tout à fait décisive. Il peut se faire que l’accord entre les deux élémens contraires n’ait été qu’apparent, que, pendant qu’ils semblaient s’accommoder ensemble à la surface, ils aient continué à lutter dans l’intérieur de la machine à des profondeurs où l’œil ne peut plus rien apercevoir, et que ce travail souterrain ne se soit trahi que par le désastre qui en a été la conséquence.

Pour décider si cette supposition est juste et si c’est bien le christianisme qui a entraîné le monde romain à sa perte, je ne vois qu’un moyen. Reprenons les principales causes que les historiens assignent à la ruine de l’empire ; demandons-nous pour chacune d’elles, autant qu’on peut le savoir, à quelle époque le mal a commencé. Si cette époque est antérieure à l’établissement du christianisme, il faudra bien reconnaître qu’il n’en est pas responsable.

La plus grave peut-être des maladies dont l’empire est mort, c’est le mauvais état des finances publiques. Les guerres extérieures et intérieures qu’il fut forcé de soutenir pendant le IIIe siècle les avaient épuisées. La misère ayant augmenté et la population se faisant plus rare, l’impôt devint trop lourd et fut recouvré difficilement. Comme les empereurs ne voulaient rien perdre et qu’ils