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et le mal peut y avoir plus d’intensité et de durée. Ces réflexions sont justes ; il est probable que les Chinois se les font avec encore plus d’appréhension et d’anxiété. Il s’agit d’un prodigieux changement non-seulement dans l’ordre matériel, mais dans les mœurs, toute une transformation de l’éthique sociale, comme le dit à diverses reprises notre auteur. Il y a chez lui comme un écho des plaintes de Sismondi au commencement du siècle.

Il ne se contente pas de gémir ; il recherche les termes de comparaison et s’ingénie à indiquer les étapes que le progrès industriel doit suivre. Ses rapprochemens entre le Japon actuel et l’Angleterre de 1760 à 1770 telle que nous la décrit Arthur Young témoignent de son érudition. Il voudrait que les nobles japonais, ceux qui ont encore des ressources, et les riches bourgeois s’intéressassent à l’agriculture, comme les lords de la fin du dernier siècle. Quelques-uns, paraît-il, commencent à le faire. Il demande l’allégement de ces énormes taxes foncières qui, on l’a vu, atteignent jusqu’à 75 francs par hectare. Quoi qu’en disent les collectivistes d’Europe et d’Amérique, Colins ou Henri George, un impôt foncier considérable n’existe que dans les pays primitifs, comme la Turquie, l’Égypte, le Japon, naguère les Indes, et il y est un insurmontable obstacle à l’extension des cultures. La réduction des charges foncières à 5 ou 6 pour 100 du revenu brut, à 10 ou 15 pour 100 du revenu net est l’une des premières conditions du développement de la civilisation. Le gouvernement japonais s’en avise ; une loi du 28 juin 1889 exempte pour dix ans de toute taxe les nouvelles terres mises en culture dans la grande île septentrionale de Yédo ou Hokkaido ; la même mesure devrait être étendue à tout le territoire sans exception ; on arriverait ainsi en quelques années à doubler les surfaces cultivées. On s’y essaie déjà, dans une proportion coûteuse pour le trésor japonais, mais encore insuffisante : ainsi une loi d’août 1889 a réduit l’impôt foncier de 3 millions 240,000 yens (16 millions de francs), à peu près la somme dont M. Rouvier propose de décharger notre impôt sur les propriétés non bâties. M. Yeijiro Ono se fait l’avocat de ces réformes ; il ne prête, sur ce point, à la critique que par sa mésestime, d’origine tout américaine, pour la petite propriété ; il oublie que les États-Unis sont fort éloignés de la culture intensive et définitive ; les Flandres offrent un modèle bien plus normal et plus humain.

Le développement de l’agriculture se rattache à celui de l’industrie ; M. Yeijiro Ono se demande comment les manufactures modernes peuvent s’établir au Japon. Il discute, avec une rare perspicacité, le problème du libre échange et de la protection. Au premier abord, l’instinct, l’exemple des États-Unis et de la Russie, pourraient porter les pays neufs vers ce dernier système ; c’est la