Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

végéter où les grandes réussissent. Ce qui frappe dans ces comptes, c’est la très faible proportion des salaires au total de la production. Dans la filature d’Osaka, par exemple, pour une production de plus de 1,500,000 francs, les principaux articles de dépenses sont : 27,000 francs de traitemens (salaries), 26,000 francs de salaires (wages) pour les ouvriers hommes, 24,000 francs de salaires pour les femmes, 1,100,000 francs de matières premières, une dizaine de mille francs de dépenses diverses et environ 23,000 francs de charbon. Ainsi les salaires d’ouvriers ne représentent que 50,000 fr. en chiffres ronds pour une production de 1,500,000 francs. C’est ici le terrible secret du Japon ; quand il se révélera à l’Europe et aux États-Unis, ces contrées en seront consternées. Les salaires, dans les filatures japonaises, pour un travail de 12 heures, varient entre 9 et 12 yens (45 et 60 centimes) pour un homme et n’atteignent que 6 yens et demi pour une femme (32 centimes et demi.) M. Yeijiro Ono néglige de nous apprendre si ces ouvriers sont nourris, ce qui peut être le cas ; mais, le fussent-ils, ce serait avec quelques poignées de riz, ce qui ne changerait guère la situation. Voilà ce que l’on devrait dire à la conférence de Berlin ; la plupart des délégués sans doute l’ignorent. En face de cette Asie renaissante, pleine de ressources naturelles et de forces humaines aux prétentions modestes, l’outrecuidance des législateurs européens et des masses profondes européennes donne le frisson.

Heureusement pour l’Europe et les États-Unis, qui autrement verraient leur commerce extérieur singulièrement compromis, toutes les ressources naturelles des nations asiatiques sont encore en général inexploitées et souvent même inexplorées. Le capital manque, les connaissances techniques, l’expérience aussi, qui est distincte des connaissances, enfin les moyens de transport. Contrairement il l’évolution économique européenne, ce sont les moyens de transport qui se développeront le plus vite en Asie. Le Japon a la mer, toutes les terres aisément cultivables en étant médiocrement distantes. Les Japonais ont le don d’imitation. Dès 1870, deux ans après la révolution qui renversa le shogoun (taïkoun), une ligne régulière de bateaux à vapeur relia Yokohama, le grand port du centre, près de la capitale de Tokio, à Kobe ou Hiogo, le port de l’ancienne capitale du mikado, Kioto, pour être bientôt après poussée jusqu’à Nagasaki, le plus méridional des grands ports du Japon, situé dans l’île de Kiushiu. En 1874, une compagnie indigène reçut une charte et établit des relations maritimes non-seulement avec tous les points importans de l’archipel, mais encore avec Shanghaï, Fousan et diverses villes du continent. D’immenses fortunes furent acquises par les fondateurs de cette ligne. En 1885, cependant, cette compagnie lut nominalement dissoute et remplacée