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années. Il n’y a pas de lois qui règlent l’organisation industrielle ; les coutumes y pourvoient. Dans beaucoup de métiers existent des associations, comme les corporations (guilds) du moyen âge. Certaines même, comme récemment dans l’industrie de la soie, ont réclamé que le gouvernement prêtât main-forte à leurs règlemens. En général, c’est pour conserver la qualité des produits ou pour en limiter la quantité que les associations font des efforts plus ou moins légaux. Sous tous les climats et dans toutes les zones, la petite, de même que la grande industrie, est semblable à elle-même. Celle-là se montre défiante et exclusive à l’excès. Les procédés particuliers sont gardés avec jalousie, comme des secrets, et transmis de père en fils. On dit que certaines sortes des célèbres porcelaines de Satsuma ne sont produites que par une seule famille, et que les articles en bronze de Kioto sont monopolisés par un petit nombre d’artisans. Ces conditions sont très favorables à une production de grand luxe ; elles ne peuvent permettre une véritable expansion industrielle.

Transformera-t-on ce peuple d’artisans en un peuple d’ouvriers ? À côté de tous ces petits ateliers, épris de l’œuvre finie, s’élève-ra-t-il des manufactures géantes lançant dans le monde par millions des œuvres ébauchées ? Le Japon possède déjà et depuis plusieurs siècles, nous assure M. Yeijiro Ono, un type de grandes usines, correspondant absolument à celles de l’Occident. Ce sont les brasseries de saké : ce breuvage est fait de la fermentation de différentes denrées dont les principales sont le riz et le blé. La fabrication s’en fait, de temps immémorial, dans de vastes établissemens, aux toits élevés, aux épais murs de plâtre, où souvent deux ou trois cents hommes sont occupés. On trouve là l’antagonisme moderne du travailleur manuel et du capitaliste. Le brasseur, au temps de la féodalité, avait une suite brillante et une belle demeure ; il faisait souvent de riches dons pour les dépenses publiques, et jouissait du privilège de porter l’épée, ce qui était alors une grande distinction sociale.

Depuis quelques années, la manufacture tend au Japon à faire de nouvelles conquêtes. Elle commence par l’industrie la plus nationale, la soie. Les ateliers de dévidage ou de moulinage se multiplient et se rapprochent chaque jour davantage de ceux d’Europe. C’est dans les provinces centrales et montagneuses de la grande île, Hondo, qu’ils se sont surtout établis. On en compte 190 dans la province de Kai, et plus de 250 dans celles de Mino et de Hida. Ils recourent à la force hydraulique qui abonde dans ces districts. Le capital est le plus souvent modique, mais parfois il devient notable, oscillant entre 100 yens (500 fr.) et 75,000 yens