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nation industrielle dans ce sens, et, s’il ne le peut ou si son essor y est borné, trouvera-t-il des compensations dans ces arts raffinés où il a atteint un si rare degré de perfection ? Il en coûterait à M. Yeijiro Ono de se résigner à cette seconde alternative. Élève des États-Unis, les grandes manufactures le tentent.

En industrie, comme en politique, le Japon s’est développé à l’abri des influences extérieures : c’est une nation solitaire, une nation ermite. Lasse de son isolement, elle va se mêler au vaste monde et s’interroge pour la conduite qu’elle y doit tenir. Le sol du Japon, nous venons de le voir, est très bien doué pour la culture ; l’est-il aussi pour l’industrie ? Jusqu’ici, il n’y a guère eu de grandes nations industrielles que celles qui possèdent des matières premières abondantes ou des mines. L’Angleterre eut les deux à la fois, et aussi les Flandres ou la Belgique, aujourd’hui également les États-Unis. Comme matière première, le Japon en possède une, non pas la plus importante, il s’en faut de beaucoup, la soie. L’avenir montrera si le coton y peut, par des perfectionnemens de culture, rivaliser avec celui des États-Unis ou de l’Inde. Quant à la laine, elle lui manque complètement : le climat ne lui paraît pas propice. Mais l’Australie, la grande fournisseuse de laines fines, est beaucoup plus près du Japon que de l’Europe.

Si le Japon possède des mines, du charbon surtout, son avenir, au point de vue de la grande industrie, est assuré. Les transports, en effet, seront à peu de frais aisément établis et peu coûteux dans cet archipel oblong, dont aucun point n’est à une bien forte distance de la mer.

L’histoire prouve que le Japon n’est pas dépourvu de métaux, de métaux précieux notamment ; l’or y fut abondant, il n’en a pas disparu. Marco Polo, le célèbre voyageur vénitien du XIIIe siècle, dans sa relation sur Zipangu (Japon), s’exprime ainsi : « Ils ont de l’or dans la plus grande abondance, la source en étant inépuisable. Le roi ne permet pas qu’on l’exporte. À cette circonstance l’on doit attribuer l’extrême richesse du palais du souverain. Le toit entier est couvert d’un placage d’or… Les lambris des pièces sont du même précieux métal. Beaucoup d’appartemens ont des tables d’or d’une certaine épaisseur, et les fenêtres aussi ont des ornemens d’or. » On se croirait dans le palais du Soleil décrit par Ovide. M. Yeijiro Ono cite des témoignages d’où il résulterait que les marchands portugais ont, de 1550 à 1639, rapporté du Japon pour 300 millions de dollars (1,500 millions de francs) de métal précieux, surtout d’or. Ce ne serait toutefois là qu’un apport moyen d’une vingtaine de millions par an. En vingt-deux ans, de 1649 à 1671, les marchands hollandais auraient tiré du Japon 200