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les Aïnos, qui descendirent du nord du continent asiatique par les îles Saghalien. Ces Aïnos, restés barbares, sont aujourd’hui relégués dans la grande île du nord, Yéso, qui n’a qu’une population très clairsemée. Ceux qui s’établirent dans le sud eurent à lutter contre des tribus d’une nature plus fine et plus apte à la civilisation. Sur la côte orientale, sur la mer intérieure que nous avons décrite, grâce aux précieux avantages du climat et de la topographie, la population devint dense, des villes se fondèrent et prirent une importance considérable.

La lutte contre les Aïnos envahisseurs, et pendant plusieurs siècles maîtres du pays, semble d’après M. Yeijiro Ono avoir développé la conscience nationale et uni des groupes d’hommes jusque-là isolés. Osaka, sur la mer intérieure, devint vers le commencement de notre moyen âge le principal centre du commerce à la fois maritime et terrestre ; la cour impériale se tenait à Kioto, qui se trouve à proximité, mais dans les terres. Après des séries de guerres, qui durèrent des siècles, les barbares Aïnos furent repoussés dans l’île du nord. Une fois affranchi, le Japon tomba dans le morcellement administratif, malgré l’unité politique qu’y maintint le shogoun (taïkoun), lieutenant de l’empereur, ayant usurpé les pouvoirs réels, mais non le titre et la dignité de son maître, et transmettant héréditairement pendant deux siècles et demi à sa famille cette usurpation. C’est un spectacle étrange qu’une usurpation héréditaire qui, pendant un si long cours de temps, ne se transforme pas en légitimité et laisse subsister le souverain nominal. Politique singulièrement avisé, lyeyasu, fondateur de la famille Tokugawa, qui a possédé le shogounat ou taïkounat depuis la fin du XVIe siècle jusqu’à la révolution de 1868, avait établi le siège de son pouvoir à Tokio, autrefois appelé Yédo, situé sur la côte orientale, au fond d’un golfe, et à peu près au milieu de l’île principale. C’était un simple hameau dans un château féodal : la famille Tokugawa transforma le château-fort en palais, et à la longue le hameau, qui devint le rendez-vous de toute la classe militaire, en une ville de 500,000 habitans à la fin du XVIIe siècle. Il prit toutes les précautions pour assurer son pouvoir contre toute révolte.

Les grands feudataires des provinces, au nombre de 268, étaient attachés au shogoun, soit par des liens de parenté, soit tout au moins par la crainte. La famille Tokugawa s’arrangeait pour que jamais deux chefs de provinces voisines n’eussent l’un pour l’autre des sentimens d’amitié. Tous les seigneurs féodaux étaient tenus de laisser comme otages une partie de leur famille dans la métropole, Tokio, résidence du shogoun, et ils devaient s’y rendre eux-mêmes avec une suite brillante, une année sur deux, pour payer