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de cette époque, car ils sont ceux dont jouissait l’ancien culte. Elle les partage d’abord avec lui, puis elle prend sa place, sans trop déranger le reste. C’est à peine si dans quelques-uns des actes de Constantin l’influence de ses croyances nouvelles se fait sentir ; le plus souvent ses lois sont rédigées dans le même esprit que celles des princes païens ; il y tient le même langage, celui d’un souverain qui se regarde comme un dieu ; il y parle de « sa divinité, » de « son éternité ; » il appelle « des oracles immuables » les manifestations de sa volonté, même quand il annonce qu’il n’est plus du même avis. J’imagine qu’en les lisant, ceux qui ne jugent des affaires publiques que par les documens officiels pouvaient croire qu’il n’y avait rien de changé dans l’empire que l’empereur, ce qui arrivait trop souvent pour causer quelque surprise.

On peut répondre, je le sais bien, que ce n’est là qu’une apparence, que l’immobilité n’est qu’à la surface, et qu’au-dessous de ce lit égal et uni que les convenances officielles étendent sur les gouvernemens réguliers, on s’aperçoit, en regardant de plus près, qu’il s’est fait alors plus de modifications qu’il ne le paraît, et que quelques-unes ont très mal tourné pour l’empire. Parmi les plus pernicieuses, on en signale deux : l’autorité que s’arrogèrent les évêques dans les affaires de l’État et l’ardeur des querelles religieuses, qui troubla l’union des citoyens et affaiblit la résistance à l’étranger.

Dans l’ancienne religion, les prêtres, en tant que prêtres, ne possédaient aucune influence politique ; avec la nouvelle, ils se glissèrent dans le gouvernement et y prirent une place importante. Je ne veux pas seulement parler de ceux qui devinrent les conseillers et presque les ministres de l’empereur ; dans les provinces même, loin de l’autorité souveraine, il leur arrivait souvent de gêner par leur intervention le jeu régulier de l’administration impériale. Macédonius, un des gouverneurs de l’Afrique, qui était pourtant un homme pieux et doux, demandait un jour à saint Augustin, avec un ton de mauvaise humeur visible, pourquoi les évêques se croyaient obligés de réclamer la grâce des criminels et se tâchaient quand on ne voulait pas l’accorder. « S’il est vrai, disait-il, qu’il soit aussi coupable d’approuver une faute que de la commettre, on s’associe à un crime toutes les fois qu’on souhaite que l’auteur demeure impuni. » Saint Augustin lui écrivit une longue lettre pour justifier la conduite des évêques. Il y laissait entendre que le juge n’est pas toujours irréprochable, qu’il cède quelquefois à des mouvemens de colère, qu’il peut lui arriver d’oublier qu’il est le ministre de la loi, chargé de venger les injures d’autrui, non les siennes. C’est donc le servir lui-même et servir l’Etat que de le rappeler à la clémence. « Votre sévérité, lui disait-il en