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pas sortie de ses langes et se trouverait encore aux premières phases de son évolution. Toute réforme, chaque innovation a commencé par une lutte et ne s’est accomplie que par la lutte. Au début, le mouvement engagé trouve peu de partisans. Pour lui gagner des adhérons, il faut exciter le mécontentement des masses contre l’ordre établi. Après une glorification de la révolution française, en réponse à un discours fulminant du chancelier de l’empire à la séance du 20 mai 1889, le chef du parti socialiste, qui compte au nombre des orateurs les plus éloquens du Reichstag, a montré comment les promoteurs du parti national, M. de Bermigsen et M. Miquel, ont engagé et entretenu l’agitation d’où est sortie l’unité de l’Allemagne. Sans cette agitation, l’empire allemand n’existerait pas : le prince de Bismarck lui-même a dû provoquer dans toutes les parties du pays le trouble et l’irritation contre l’ordre ancien, afin d’arriver à la confédération du nord et à la constitution de l’empire actuel. Dès lors, après les exemples venus de si haut, la logique ne permet pas de reprocher aux démocrates socialistes d’employer pour la réalisation de leur idéal les moyens mis en œuvre par les autres partis. Ces partis n’ont pas le droit de juger si les socialistes ont tort ou raison dans leurs aspirations, et ceux-ci poursuivront leur mission morale, « quoi qu’en puissent dire l’empereur, le chancelier et vous tous. »

« Les démocrates socialistes allemands ne sont pas des barbares et ils ne pensent pas le-moins du monde à amener l’anéantissement de la civilisation et de la culture modernes. » Loin de vouloir détruire la civilisation, ajoute M. Bebel dans son très remarquable discours du 21 mai 1889, qui peut être considéré comme la philosophie de la doctrine du parti, ils prétendent au contraire la faire avancer en mettant à la portée d’un plus grand nombre d’hommes, à toute la masse du peuple, sans considération de naissance ni de condition sociale, les ressources d’une culture plus haute créée par les progrès du temps et le développement naturel des choses. De même doit tomber l’accusation élevée contre les démocrates socialistes d’être ennemis de la patrie, car la patrie ne doit pas être confondue avec ses institutions du moment. « Nous sommes des Allemands aussi bien que vous, et nous sommes attachés à cette Allemagne avec autant d’affection que vous. » Seulement aux yeux de la démocratie socialiste, l’état des choses en Allemagne ne doit pas se perpétuer indéfiniment tel qu’il est aujourd’hui. Si l’on considère l’évolution de la nation et du pays depuis deux mille ans, on voit que pas un siècle ne s’est écoulé sans y amener des changemens politiques et sociaux considérables. Des monarchies sont venues et ont péri, des organisations politiques et sociales des formes les