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pas faire la part du coulage, celui-là est indigne de dresser le budget d’une petite bourse. » Nous n’entrerons pas dans des détails plus complets ou plus approfondis sur la manière de vivre des ouvriers allemands. Pour nous en tenir à l’institution des caisses de retraite à établir par l’État, nous constatons seulement l’insuffisance d’une rente d’invalidité ou de vieillesse inférieure à 200 marcs par an. Un revenu si minime couvre à peine les besoins les plus pressans d’un individu vivant en famille. Un vieillard ou un invalide, obligé de vivre seul, ne peut se tirer d’affaire avec une pension si exiguë, sans invoquer la charité.

Aussi longtemps que l’ouvrier assuré a assez de forces pour gagner plus du sixième de son salaire normal, il n’a pas droit à une rente d’invalidité. La rente de vieillesse ne peut être accordée non plus avant l’âge de soixante-dix ans accomplis. Comment feront pour vivre des hommes gagnant seulement 20 pfennigs par jour dans la première classe, et dans la deuxième classe 30 pfennigs ? C’est ce que les promoteurs de la loi sur l’assurance obligatoire ne nous disent pas. En motivant, au nom des députés démocrates-socialistes, un amendement abaissant à cinquante-cinq ans la limite d’âge pour la rente de vieillesse, M. Grillenberger qualifie d’inhumanité éhontée, krasse Inhumanität, le relus d’une pension quand l’assuré gagne encore 30 pfennigs dans la classe dont le salaire moyen est fixé à 500 marcs par an. Deviennent-ils malades, les pensionnaires en expectative des offices d’assurance impériaux tombent à la charge de l’assistance publique, comme les ouvriers assurés contre la maladie, quand cette maladie se prolonge au-delà de treize semaines. Sous ce rapport, les caisses libres fondées par l’initiative privée, maintenant condamnées à disparaître, étaient plus libérales. La caisse nationale des retraites, en France, autorise ses-assurés à liquider leur pension dès l’âge de cinquante ans, sans produire un certificat d’invalidité. En ce qui concerne la limite de soixante-dix ans prescrite pour obtenir la rente de vieillesse, peu d’ouvriers se trouvent encore en état d’exercer leur profession à cet âge, en dehors des travaux agricoles. D’après le recensement des professions du 5 juin 1882, il y avait alors en Allemagne 1,187,035 individus des deux sexes âgés de soixante-dix ans et au-dessus. Or la limite moyenne de l’âge auquel arrivent les ouvriers allemands atteint seulement trente-deux ans pour les polisseurs de verre, trente-six ans pour les tailleurs de pierre, quarante ans pour les meuniers, cinquante-six ans pour les terrassiers, soixante et un ans pour les tanneurs.

Jamais proposition de loi n’a trouvé autant de contradicteurs que ce projet pour l’assurance contre l’invalidité. Sur tous les points de l’empire, dans toutes les classes de la société, les protestations se