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La faveur que lui faisait le ciel, Julien ne la comprenait pas. En le frappant sur le champ de bataille, en l’arrêtant dans son œuvre insensée, le ciel récompensait ses vertus. Je ne puis partager l’opinion de Voltaire. « Si la carrière de Julien, dit Voltaire, eût été plus longue, il est à présumer que l’empire eût moins chancelé après sa mort. » On voit bien que Voltaire n’avait qu’un médiocre souci des pauvres et des humbles. Sauver l’empire, à son sens, c’eût été le rendre aux patriciens. Le christianisme a fait mieux et il n’a pas encore atteint la limite de ses bienfaits.

« Julien, nous apprend son historiographe, faisait abus de la divination et allait aussi loin que l’empereur Adrien dans cette manie. Il y avait dans son culte plus de superstition que de religion véritable. » Il faut être indulgent pour les superstitieux. Hamlet nous en a fort bien dit la raison. Mieux vaut cent fois le superstitieux que le matérialiste. Julien dut à sa ferme croyance dans l’existence d’un principe supérieur de mourir avec une dignité douce et affable. Jusqu’au dernier moment il s’entretint avec Maxime et avec Priscus, deux philosophes comme lui, de la nature de l’âme et de sa transcendance. La respiration cependant devenait difficile. Julien demanda une coupe d’eau fraîche : il la but et rendit peu après le dernier soupir.

Pas plus qu’Alexandre, le neveu du grand Constantin ne s’était cru en droit de désigner son successeur. La responsabilité lui semblait trop grave à prendre. Ce fut le soldat qui s’en chargea. Il élut un empereur chrétien. Les hécatombes de Julien n’avaient converti personne. Le retour au vieux culte ne pouvait trouver grâce devant ceux qui en secouèrent le joug à travers les supplices. Le Christ fut acclamé par les troupes en même temps que Jovien. Pendant quatre jours, on ne cessa de combattre pour rompre le cercle dans lequel les Perses s’efforçaient d’enfermer l’armée. Enfin, on arrive sur les bords du fleuve. De l’autre côté était la sécurité, — on le croyait du moins, — l’abondance peut-être. Malheureusement la flottille ne se trouvait plus là pour faciliter le passage. Quelques soldats gaulois, des Sarmates, traversèrent le Tigre à la nage. Le gros de l’armée essaya pendant deux jours de fabriquer un pont avec des outres gonflées. Les eaux étaient trop, hautes, le courant trop rapide : il fallut y renoncer.

L’ennemi cependant était toujours tenu en échec ; si les provisions n’eussent manqué, jamais on n’eût songé à entrer en composition avec lui. La famine triompha. Le 7 juillet, on ouvrit l’oreille aux propositions des Perses. Les Perses demandaient qu’on leur rendit Nisibe, Singara, toute la portion de leur territoire jadis cédée à Dioclétien. On leur rendit Singara et Nisibe ; on conclut la