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Les canaux qui mettaient en communication les deux fleuves étaient alors soigneusement entretenus. Les Parthes et les Perses les avaient laissés peu à peu s’envaser. Julien les rouvrit de nouveau. Il les rouvrit en face de l’ennemi. Sous son énergique impulsion, les légions romaines retrouvaient leur antique vertu, cette vertu faite de viril courage et de patience endurante. Dans Constantin on serait tenté de voir en quelque sorte l’ancêtre moral de Charles-Quint ; dans Constance Philippe II. Julien nous rend l’héroïque Béarnais. Élevé en séminariste, captivé plus tard par les philosophes, — et quels philosophes ! les inventeurs des mystères de la théurgie, — il s’improvise soldat, sauve les Gaules et se prépare à sauver l’empire. Il est du métal dont se font les grands hommes, et par une faveur spéciale de la Providence, il mourra, comme meurent le plus souvent les grands hommes, jeune, encore idolâtré, encore rempli des plus nobles illusions. Il mourra enfin à la tête de ses troupes, et ses derniers regards verront fuir l’ennemi. Il n’aura même pas soupçonné que ses adversaires politiques réservaient à sa généreuse mémoire le hideux surnom d’apostat.

Apostat, cependant, il l’était. Apostat de son temps, apostat de la religion dans laquelle il avait été nourri. Que lui manquait-il ? La fibre populaire. Il ne sentait pas que, la grandeur de Rome, c’était la servitude de l’univers, c’était surtout l’écrasement des humbles au profit de l’insolence patricienne. Jamais âme ne comprit moins l’esprit du christianisme que l’âme de cet illuminé. Aussi, ce fut comme un caillou que la providence l’écarta du chemin. Seulement dans ce caillou, si nous voulons rester justes, reconnaissons le diamant caché. Une heure viendra, la dernière, où la pierre précieuse étincellera de tous ses feux. Il n’est donné qu’à de rares privilégiés de bien mourir.

La plus grande ville de l’Assyrie après Ctésiphon, Perisaboras, défendue par des fossés, par des tours, par une citadelle, est forcée l’épée à la main. Elle livre aux légions de vastes approvisionnemens de vivres, d’armes et jusqu’à des machines de guerre.

Les Persans ont cessé d’avoir foi dans leurs remparts : ils déchaînent contre l’ennemi l’inondation. Le travail sera, grand poulies Romains. Ils en viendront cependant à bout. L’inondation sera combattue comme l’ont été les remparts, — avec la même énergie et avec le même bonheur.

Jamais campagne en Asie n’avait présenté un succès aussi constant. Chaque fois que les Perses s’étaient montrés, on les avait refoulés avec perte ; les boulevards derrière lesquels ils s’abritaient tombaient comme par enchantement ; Ctésiphon et Séleucie se