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maréchal Bugeaud ; dans Pompée, huit ou neuf ans plus tard, son duc d’Aumale.

En l’année 59, Crassus eut le gouvernement de la Syrie. Les Romains, à cette époque, ne doutaient plus de rien ; il semblait qu’aucun obstacle ne pouvait les arrêter. Crassus, n’ayant pas de Mithridate à dompter, voulut conduire ses troupes contre les Parthes. Pour la première fois, les Romains se trouvèrent aux prises avec le désert. Crassus avait franchi l’Euphrate au zeugma de Thapsaque ; il entrait en Mésopotamie avec 40,000 hommes, y compris les auxiliaires. On assure que son lieutenant, Cassius, le pressa de longer l’Euphrate pour tirer ses vivres de la flottille, pendant qu’il marcherait sur Séleucie, — nous dirions aujourd’hui sur Bagdad. Crassus obéit à d’autres conseils. Il crut pouvoir terminer la campagne à la romaine, par une seule journée, par une bataille qui prendrait rang à côté des combats de Pydna et de Magnésie. Il s’enfonça dans un pays désert à la poursuite des Parthes. Les Parthes l’attendirent, en effet, mais pour reculer, pour l’entraîner de plus en plus sur un terrain où leurs cavaliers et leurs archers auraient tout l’avantage. Le fils de Crassus, arrivé récemment des Gaules, se laissa prendre le premier au piège. Les Parthes l’enveloppèrent, lui coupèrent la tête et allèrent montrer ce trophée sanglant à son père. Les Romains n’ont jamais péché par un excès de sensibilité, et la sensibilité ici eût été plus que de la faiblesse. Crassus avait de trop grands devoirs à remplir pour s’abandonner à la douleur. « Ce malheur, dit-il avec raison, ne concerne que moi. » Il ne put faire, cependant, que ses soldats n’y vissent un funeste présage.

On ne saurait croire à quel point le découragement est prompt quand les forces humaines ont donné tout ce qu’il est permis d’en attendre. Les soldats du général Dupont et les soldats de Crassus ne laissent guère à leurs chefs dans ces circonstances douloureuses d’autre parti à prendre que « de se couvrir la face de leur manteau. » C’est ce que fit le malheureux Crassus. Il abandonna au conseil de guerre le soin de décider la retraite, des bords de la Bilecha où l’on avait combattu, sur Carrhes.

Rester à Carrhes, c’était s’exposer au risque d’y être investi. Crassus en sortit de nuit presque aussitôt après y être entré. Une infanterie harassée ne dérobe pas longtemps sa marche à une cavalerie alerte qui combat sur son propre terrain. Crassus ne tarda pas à se trouver égaré au milieu des marais à travers lesquels il tentait de rejoindre le gué de Thapsaque. L’ennemi n’avait pas cessé un instant de le harceler. Il commit la faute d’entrer en négociations, la faute plus grande d’y compromettre sa personne. Un tumulte soudain s’éleva. Crassus fut massacré, la majeure partie de son