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Heureusement, les voyageurs modernes qui ont parcouru ces contrées, qui les ont visitées et décrites avec intelligence, ne manquent pas. On n’a vraiment que l’embarras du choix.

Chose bien digne de remarque : la route que l’empereur faisait étudier en vue d’une invasion est devenue, depuis quelques années, dans la pensée des possesseurs de l’Inde, une ligne d’opérations défensives. Deux corps d’armée, dont l’un serait débarqué dans le Golfe-Persique et l’autre dans le golfe d’Alexandrette, pourraient combiner avec avantage leurs mouvemens et se donner rendez-vous sous les murs de Bagdad[1]. Il est telle circonstance où cette concentration des forces britanniques deviendrait en quelque sorte indispensable. L’Inde anglaise ne sait trop de quel point de l’horizon l’irruption qu’elle s’est habituée à redouter peut venir. L’attaque dirigée par mer ne sera pas de longtemps à craindre pour une puissance dont la suprématie navale est assise sur les plus fortes bases que le monde ait jamais connues, mais le torrent qui descendrait du Caucase et de l’Arménie pour rejoindre la vallée du Tigre ne saurait rencontrer d’obstacle que de la part de forces massées sur les rives de l’Euphrate et prêtes à se couvrir au besoin de ce fleuve.

Il existe aujourd’hui en Europe deux puissances asiatiques : la Russie et l’Angleterre. La Russie est admirablement préparée pour un rôle agressif. Trois chemins lui seront ouverts le jour où elle voudra menacer l’Inde : le Turkestan, la Perse et la Mésopotamie lui livreront avec une égale complaisance l’accès des rives convoitées de l’Indus. Il n’est pas impossible, quand on songe aux multitudes dont l’empire moscovite dispose, que la marche en avant se prononce sur ces trois routes à la fois. La Russie y aurait intérêt, ne fût-ce que pour priver l’Angleterre des secours que l’Angleterre serait en mesure, sans cette triple démonstration, de recevoir par le Golfe-Persique.

L’empire britannique, avec le développement soudain qu’ont pris de nos jours les armées permanentes, ne compte plus comme puissance militaire ; mais cet empire, si redoutable encore par sa suprématie navale et par ses richesses, n’aura-t-il point, en cas de collision européenne, des alliés ? Il ne nous appartient pas de lui demander pourquoi l’expansion de la race slave l’inquiète plus que l’expansion démesurée pourtant, elle aussi, de la race germanique. Chaque peuple pourvoit à ses intérêts comme il l’entend.

  1. Les Cartes, jointes aux cinq volumes des Campagnes d’Alexandre, ouvrage publié chez Plon et Cie, aideront fort les personnes qui voudront les consulter à l’intelligence d’un récit dans lequel la géographie tiendra forcément beaucoup de place.