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s’exprime partout, jusque dans la rue, et Beaumarchais ne craint pas démêler tous les langages, dans la mesure où il en a besoin et pour effet qu’il veut produire. Sans être un homme de bibliothèque, il a trouvé le loisir de lire beaucoup, surtout les auteurs du XVIe siècle, assez rapprochés des temps modernes pour être clairs, assez anciens pour paraître nouveaux, il aime Marot et Montaigne, il s’est nourri de Rabelais. Aux deux premiers, il emprunte quelque chose de leur grâce fuyante pour l’enfermer, contraste charmant, en des phrases nettes et sonores ; au dernier, il prend l’énergie et le pittoresque de ses accumulations d’épithètes.

De ces qualités propres et de ces emprunts divers résulte un style composite et brillant, souple et fort, alerte et ramassé, avec d’amusans cliquetis de mots, des surprises d’expression, un coloris éclatant, si heureusement rythmé et coupé qu’il a sur l’oreille et la mémoire presque autant de prise que le meilleur vers comique. La verve en est la qualité maîtresse ; verve tantôt haletante, tantôt puissante et large, d’un jet saccadé ou continu, toujours vigoureux. L’auteur y jette à pleines mains l’esprit, et tous les genres d’esprit, avec une préférence marquée pour l’esprit de mots ; mais il a de l’esprit de situation et de caractères assez pour amuser toujours la scène et pour atteindre parfois à la haute comédie. Le principal défaut de ce style si personnel est de l’être un peu trop ; on le retrouve, en effet, dans tous les rôles de la pièce, malgré les différences de sentimens, d’âge, de sexe, de conditions. Les maîtres de l’ancien théâtre s’efforçaient d’entrer dans le caractère de leurs personnages et de les faire parler en conséquence ; Beaumarchais oblige les siens à parler comme lui-même. Qualités et défauts, cette façon d’écrire aura désormais son influence sur tous les auteurs dramatiques ; les plus originaux, les plus éloignés de l’imitation en retiendront quelque chose. Plus d’un siècle a déjà passé, et il est peu de comédies où l’on ne surprenne comme un écho lointain du Barbier de Séville.

S tle théâtre, moderne doit son style à Beaumarchais, il lui doit encore ce mouvement rapide auquel nos pièces doivent obéir. Marcher ne nous suffit plus ; nous voulons courir ; études de caractères et peintures de mœurs, nous trouvent distraits, s’il ne s’y joint par surcroît un problème dont la solution se rapproche de scène en scène. A vrai dire, le mouvement est indispensable au théâtre et jamais on ne l’a négligé tout à fait. Mais on peut le rendre plus ou moins rapide ; il semble même que nos vieux auteurs s’appliquaient parfois à le ralentir, dans ces actions, tantôt, maigres, tantôt chargées d’épisodes qui se déroulent sans hâte le long de leurs cinq actes. A partir de Beaumarchais, la rapide succession des