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la littérature française. Ce qu’Edmond About devait faire, en manière de plaisanterie, dans l’Homme à l’oreille cassée, pour le pathos du premier empire, Gudin le fait sérieusement, et avec la même perfection, pour celui du xviiie siècle. Au demeurant, c’est un esprit judicieux, malgré ses naïvetés prudhommesques ; un conteur agréable, malgré les plus inutiles, les plus verbeuses et les plus prétentieuses digressions ; un caractère intéressant et ferme, malgré des puérilités sottes, et tout cela passe dans son livre.

Beaucoup plus récemment, mis en possession des papiers personnels de l’un des hommes qui, la plume à la main, ont fait le plus de confidences sur eux-mêmes, L. de Loménie tirait un tel parti de cette bonne fortune, qu’à cette heure quiconque aborde le même sujet doit s’autoriser d’un nom qui se rappellerait tout seul comme un reproche, si on ne s’empressait de le prononcer comme un remercîment. M. d’Arneth expliquait ensuite, à l’aide des archives impériales de Vienne, un épisode aussi obscur que piquant dans la vie de notre auteur. Avec sa curiosité universelle, très largement informée, si elle n’est pas toujours bien clairvoyante, Edouard Fournier ajoutait quelques détails à ceux que l’on connaissait déjà. Au point de vue de la simple critique, Saint-Marc Girardin, Sainte-Beuve et Nisard, c’est-à-dire trois maîtres du genre dans la première moitié de notre siècle, portaient, sur sa valeur d’écrivain, une série de jugemens qui comptent parmi les meilleurs de ces excellens juges.

Enfin, tout près de nous, le mouvement d’études sur Beaumarchais recommençait de plus belle, et une série de travaux paraissait coup sûr coup. M. Henri Cordier nous donnait une première et exacte bibliographie de ses œuvres. M. E. Lintilhac, reprenant le travail de Loménie d’après les mêmes sources et, se piquant de mettre en lumière ce que, à tort ou à raison, son devancier avait oublié ou négligé, réussissait souvent à le rectifier en le complétant. L’Académie française faisait de Beaumarchais l’objet d’un concours dont M. de Lescure remportait le prix, avec un discours où se retrouve l’élégance habituelle de sa plume ; deux de ses concurrens, MM. Trolliet et Bonnefon, publiaient aussi tout ou partie de leurs essais. A l’étranger, un critique allemand, M. Bettelheim, lui consacrait un ouvrage de longue haleine où il profitait largement des travaux français, surtout de celui de Loménie, en y ajoutant le résultat de ses propres recherches en France et en Espagne.

L’abondance même de ces travaux m’est un prétexte et, s’il en est besoin, une excuse pour solliciter une fois de plus l’attention en faveur de Beaumarchais, car ils sont si nombreux qu’il en résulte un peu d’incertitude. Je viens de les lire ou de les relire, et je me