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c’était aussi, par un échange de relations, également utile de part et d’autre, d’apprendre aux hommes du monde à cultiver leur esprit et aux hommes d’étude à se dégager des routines de la pédanterie. C’était donc non seulement une coutume, mais une règle d’aller chercher, pour les appeler à l’Académie en même temps que les auteurs en renom, les honnêtes gens (comme on disait alors) qui avaient fait preuve de goût, sans leur demander d’appuyer leurs titres par aucune œuvre signée de leur nom. L’Académie était un terrain commun où on était accoutumé à voir se rencontrer des réputations de genres les plus différens. Dans le cas présent cependant, la politesse ainsi faite par la gloire littéraire à la renommée militaire était un peu forte : Maurice étranger de naissance, bien que sachant manier notre langue avec une aisance heureuse et souvent piquante, ne la prononçait pas sans accent et abusait on l’écrivant (comme j’en ai déjà donné plus d’une preuve) des libertés que les gens les mieux élevés prenaient alors avec l’orthographe. Il suffit de transcrire textuellement la lettre suivante pour convenir qu’il n’avait pas absolument tort de se trouver déplacé dans une réunion où on aurait dû discuter les articles du dictionnaire.

« On ma proposez mon maître d’aitre de lacademye française. Jay repondus que je ne savez seulement lortograffe et que se la malet comme une bage à un chat. On ma répondu que le maréchal de Vilar ne savet pas écrire ni lire ce qu’il ecrivet et qu’il en etet bien. Sait une persequution : vous n’en êtes pas, mon maître, sela rend la défence que je fais plus belle ; personne n’a plus d’esprit que vous, ne parle et necrit mieux : pourcoy n’en êtes vous pas. Sela mambarasse : je ne voudrès pas choquer personne bien moins un corps où il y a des jans de mérite : d’un autre cote je crains le ridiqule et selui ci me paret un bien conditioné : aiei la bonté de me répondre un petit mot. »

Noailles réplique sur-le-champ avec toute la liberté que l’amitié permet, mais en exprimant une sévérité de jugement sur le compte de l’Académie dont le rédacteur de ses mémoires croit devoir l’excuser, et qui, heureusement pour la compagnie, comme on le sait, n’a pas été héréditaire dans sa famille : « Je n’ai reçu qu’hier à Saint-Germain, où j’étais à prendre le bon air, mon cher maréchal, la lettre dans laquelle vous me consultez sur la proposition qui vous est faite d’être de l’Académie française. Je pense comme vous, mon très cher comte, rien ne vous convient moins, et quand on vous cite le maréchal de Villars, c’est un ridicule qu’il s’est donné avec plusieurs autres qu’il avait, malgré de grandes et bonnes qualités. J’ai toujours regardé cette affiche comme ne convenant pas à un homme de guerre, pas même à un homme