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que je pense. Que Votre Majesté m’en dispense et qu’elle me rende la justice qu’en ceci, de même que dans mes lettres et dans toutes mes opérations, je suis et je serai conséquent. » — La fin de la lettre était destinée à affirmer (ce qui était vrai plus en apparence qu’en réalité) que, toutes les opérations militaires en Italie ayant été réglées de concert entre les généraux français et espagnols, il n’y avait pas lieu de douter de la fidélité de l’Espagne à ses engagemens[1].

Pendant que cette correspondance aigre-douce était engagée, le château de cartes élevé par d’Argenson s’écroulait de lui-même sans qu’il fût besoin de souiller dessus. Tandis que l’on causait à Paris, les troupes piémontaises, ne recevant aucun ordre de marquer le pas, ne se faisaient pas faute d’inquiéter la retraite de l’armée française vers la Provence. Des escarmouches sanglantes avaient lieu journellement. Puis vint la nouvelle de la soumission de Gênes, dont les Piémontais prétendaient bien tirer leur part de profit : singuliers préludes d’une fête nuptiale ! Le roi, impatienté, finit par dire qu’il ne pouvait être question d’un mariage quand la fiancée serait contrainte de demander un sauf-conduit pour venir à la noce, afin qu’on ne tirât pas sur elle, et d’Argenson lui-même fut obligé de dire à la princesse de Carignan dans le jardin du Luxembourg, où se passaient leurs conférences : « Que voulez-vous que nous fassions quand vous recevez nos fleurettes à coups de fusil ? » — Et de cette chimère il ne resta d’autre trace que l’opinion, plus que jamais établie à Madrid, que c’était à lui, à ses faiblesses toujours renaissantes pour l’alliance piémontaise, que les intérêts de la couronne et la dignité d’une infante d’Espagne étaient une fois de plus sacrifiés.

L’Espagne et la Sardaigne ainsi congédiées, et les familles royales protestantes naturellement écartées, il ne restait plus qu’une seule princesse qui, par sa naissance et sa religion, pût être convenablement destinée à partager le trône de France. C’était la fille de l’électeur de Saxe, roi de Pologne, Auguste III, ce débile souverain qu’on avait vu, depuis le commencement de la guerre, jouet de tant de fortunes et ballotté entre tant d’alliances contraires. Mais ce choix, au premier aspect, ne paraissait pas présenter moins d’objections que les deux autres. D’abord Auguste était le compétiteur heureux qui avait enlevé la couronne de Pologne au beau-père de Louis XV, et, quelle que fût l’abnégation de

  1. Roussel. (Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, p. 245 et suiv.) — Louis XV à Ferdinand VI, 31 août. — Ferdinand à Louis XV, 15 septembre 1746.