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donner de pareilles dispenses, mais ici il n’en est pas de même : le clergé et le peuple pensent comme moi, ou, pour mieux dire, je ne pense qu’après eux, la voix du peuple est la voix de Dieu. Mais ce qui me console infiniment, c’est que le duc d’Huescar m’a assuré que Votre Majesté ne m’en saurait nul mauvais gré et que rien, s’il plaît à Dieu, ne dérangera l’union, l’harmonie et la tendresse qui règnent entre nous, et c’est dans cette persuasion que je demande conseil à Votre Majesté sur le choix que je dois faire pour mon fils. Il y a en Savoie trois princesses : cette union est familière dans notre maison, et nous en sommes des preuves vivantes et incontestables. Le roi de Sardaigne, dans la dernière lettre qu’il m’a écrite lors de cette belle affaire d’Asti, m’a assuré que l’amitié était rétablie entre nous, et je ne le voudrais prendre que sur ce pied-là ; car tout autre traité avec lui je veux qu’il passe par Votre Majesté, et jusque-là je seconderai Votre Majesté contre lui de tout ce que je peux, et même de plus, car je n’ai pas moins à cœur qu’elle l’établissement de l’infant. » Suivaient quelques reproches, d’un ton très adouci, sur l’attitude de M. de La Mina en Italie, — et enfin l’assurance de ne décider rien « sans la réponse de Votre Majesté à celle-ci, ne voulant rien faire du tout que Votre Majesté ne le sache et ne l’approuve[1]. »

La démarche était plus que loyale, à vrai dire, même un peu naïve et bien faite pour attirer la réponse justement offensée et légèrement railleuse de Ferdinand. — « Quand le duc d’Huescar, dit le roi d’Espagne, me donna avis de ce que Votre Majesté avait répondu à la proposition de mariage de l’infante Marie-Antoinette avec le dauphin,.. je jugeai que les empêchemens qu’on mettait à cette union venaient seulement des scrupules non bien considérés… La lettre de Votre Majesté m’a désabusé, et j’y vois avec douleur qu’on y dit, ce qu’il n’est aisé de persuader à personne, c’est que la religion défend en France les mariages qui sont permis en Espagne. J’avoue à Votre Majesté que je ne comprends pas comment on peut douter des facultés du souverain pontife pour de pareilles dispenses… Ce serait plutôt une hérésie, bien loin d’être un acte de religion. Je dois au moins le supposer ainsi tant que l’Église n’a rien déclaré, au contraire : et cela supposé, Votre Majesté ne me marquant pas d’autre motif pour que le choix ne tombe point sur ma sœur, je ne puis donner un conseil qui s’oppose à ce

  1. Louis XV à Ferdinand VI, 7 septembre 1746. (Correspondance d’Espagne, ministère des affaires étrangères.) — La lettre est de l’écriture de d’Argenson, mais il ne la cite pas dans ses mémoires, bien qu’il y insère textuellement le reste de la correspondance de Louis XV et de Ferdinand. M. Roussel, dans sa Correspondance du maréchal de Noailles, a publié la même lettre sous la date du 31 août.