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pouvaient n’être point étrangers aux agitations de l’Irlande, à la Land-league, à des menées plus ou moins factieuses. C’est le résumé du rapport de la commission qui vient d’être soumis aux communes et qui a été l’occasion de la discussion nouvelle.

Qu’allait-on faire de ce rapport ? quelle sanction pouvait avoir l’enquête ? Le gouvernement, par une habile tactique, n’a trouvé rien de mieux que de proposer à la chambre des communes d’enregistrer tout simplement l’œuvre de la commission, qui, en dégageant les députés irlandais de tout soupçon de meurtre, les laisse cependant sous le poids d’une certaine accusation de complot, de menées factieuses. Le leader conservateur, M. Smith, s’est chargé de la motion : mais M. Parnell et ses amis ne se sont pas tenus pour satisfaits. Ils ont prétendu que, s’ils restaient des accusés à un degré quelconque, ils devaient être envoyés en jugement ; que, s’ils étaient reconnus innocens, la chambre des communes devait le déclarer sans subterfuge. M. Gladstone lui-même s’est jeté dans la mêlée, soutenant, avec une éloquence qui ne faiblit pas, que la chambre des communes doit à son honneur de rendre une complète justice à M. Parnell et à ceux qui ont été comme lui l’objet d’indignes calomnies. Il doit bien y avoir quelque perplexité, même en dehors des libéraux, jusque parmi les conservateurs, puisqu’au dernier moment, un ami de lord Randolph Churchill, M. Jennings, par un amendement nouveau, a demandé tout au moins un vote de blâme contre ceux qui ont injustement accusé des membres du parlement. Lord Randolph-Churchill lui-même vient d’intervenir par un discours d’une véhémente éloquence. Le ministère, eût-il jusqu’au bout la majorité, n’est décidément pas heureux avec cette question irlandaise, qu’il croit quelquefois avoir résolue avec ses lois répressives ou avec ses concessions agraires, et qui renaît sans cesse, à tout propos. Elle renaît dans les chambres ; elle renaît encore plus dans le pays, où les élections qui se succèdent ne sont rien moins que favorables aux conservateurs. C’est un phénomène curieux, en effet, que ce retour lent, mais incessant de l’opinion vers la politique libérale, manifesté par une série d’élections partielles. L’autre semaine, au moment même où l’on discutait l’amendement de M. Gladstone, qui a fini par être rejeté, un des districts de Londres, North-Saint-Pancras, élisait un libéral à la place d’un conservateur, et on se hâtait de dire que c’était le jugement du peuple. Ce n’était peut-être pas le jugement du peuple ; c’était du moins la preuve que l’Irlande n’a pas perdu sa cause devant l’opinion, qu’elle ne cesse pas d’être l’embarras de la vie parlementaire, de la politique britannique.


Ch. de Mazade.