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l’imaginons, ne serait pas une baraque de foire où l’on réglerait le duo des Huguenots comme un assaut de lutteurs. Le directeur que nous rêvons aurait sur ses pensionnaires une certaine influence artistique. Il saurait et pourrait faire des observations, donner des conseils ; il veillerait à la sécurité des Huguenots comme le directeur du Louvre veille à celle de la Joconde ou des Noces de Cana. Il exercerait un droit de contrôle, au besoin de veto, non-seulement sur les premiers sujets, mais sur les derniers. Soigneux des moindres détails, il ne tolérerait pas qu’un déjeuner chez le comte de Nevers ressemblât à un repas de concierges ou de garçons de bureau. Mais, dira-t-on, où trouver des coryphées convenables ? Peut-être dans les classes du Conservatoire, dont on formerait les élèves, hommes et femmes, aux grands rôles par les petits. Ils ne seraient pas déshonorés pour chanter quelques pages seulement, au besoin quelques mesures dans un chef-d’œuvre. Un écolier saurait dire le couvre-feu des Huguenots ; un lauréat est incapable de jouer Raoul. Ils le prouvent bien, les pauvres jeunes gens qu’on lâche, c’est le mot, à travers des partitions dont ils connaissent un air seulement : celui qui leur a valu leur diplôme, Sésame prématuré d’une porte qu’ils ne devraient pas sitôt franchir.

N’insistons pas sur l’interprétation musicale des Huguenots. Depuis que nous en avons dit notre avis, elle n’a pas varié ; nous non plus. Quant à la représentation matérielle, elle est à la hauteur de l’autre. L’article 1er du cahier des charges accepté par la direction de l’Opéra est ainsi conçu :

« Le directeur sera tenu de diriger l’Opéra avec la dignité et l’éclat qui conviennent au premier théâtre lyrique national.

« L’Opéra devra toujours se distinguer des autres théâtres par le choix des œuvres anciennes ou modernes qui y seront représentées, par le talent des artistes comme par la richesse des décorations, des costumes et de la mise en scène. »

De tous les articles du cahier des charges, voilà le plus général et peut-être le plus complètement méconnu. Œuvres anciennes : la dernière qu’on ait reprise est Lucie. Quant aux œuvres modernes, si l’Opéra se distingue, c’est par le choix de celles qui n’y sont pas représentées. — La richesse des décors et des costumes ! Les uns comme les autres tombent en loques. La prison et l’église de Faust ressemblent à de vieilles housses de lustrine. On joue des pièces écossaises sous des plafonds de mosaïques byzantines, et les fenêtres de Lucie donnent sur des jardins de palmiers où se promènent des seigneurs vêtus à toutes les modes. La mise en scène ! — Les directeurs de l’Opéra feraient bien d’aller à Bayreuth étudier cette partie de l’art théâtral, à laquelle les tendances modernes et l’amour toujours croissant de la vérité, au moins de la vraisemblance scénique, donnent une importance de plus en plus grande. Le cahier des charges parle de richesse.